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L'essai que j'aurais voulu avoir comme le dernier dans ce volet ne sera, puisqu'il sera divisé en deux. Le premier, celui-ci est pourquoi l'élite française (avec ses sources) ait accepté tout une autre vision du monde qu'avant, le deuxième comment elle l'a imposé aux autres.
Mais d'abord, mesurons un peu combien la vieille vision du monde diffère de la nouvelle.
En 1500 la Terre était le centre de l'Univers et celui-ci avait comme couches extérieures la sphère des étoiles fixes et le ciel des bienheureux, où Dieu thrône parmi ses Anges depuis la création, en 1800 elle était (pour l'élite) une planète autour du soleil, qui, lui, n'était qu'une étoile parmi d'autres étoiles, répandues à distances à peu près égales par un univers d'étendue infinie donc au nombre infini.
En 1500 les corps célestes étaient mus par des êtres angéliques, en 1800 "par les lois naturelles" comme on disait ou plutôt selon les lois naturelles et uniquement par leurs masses, gravitations mutuelles, inerties.
En 1500 pésenteur et légèreté sont deux qualités opposés, en 1800 la légèreté n'est que rélative, et consiste en avoir moins de pésenteur par volume que les corps autour.
En 1500 l'espace est partout rempli par quelque corps, et l'espace autour d'un corps égale les corps entourants: sol ou quelque parti du bâtiment sous les pieds, rien ou chaise ou mur derrière le dos, rien ou quelque table sous les mains, air autours des parties non touchées par des corps solides. C'est ça l'espace. Ou pour un nageur l'eau et l'air.
En 1800 par contre, l'espace est un vide sauf là où il y a un corps pour le remplir. Le nageur ou plutôt ses atômes en dernière analyse, côtoie l'eau et l'air dans le même vide, qui, tout comme la légèreté est un néant, et par là il ne peut pas avoir une limite extérieure non plus.
Est-ce qu'on a découvert l'héliocentrisme, le vide, que la légèreté soit un manque de masse, que l'univers n'ait pas de limite extérieure, que tous les mouvements astrales soient dus aux masses avec leurs gravitations et inerties, sans Dieu, ni anges?
Ou est-ce que les découvertes qu'on a faites ont conduit à croire ça sans les impliquer en stricte logique? Évidemment ce n'est pas une question mais elle se pose pour chacune de ces changements d'idées indépendemment.
Pour ce qu'il y a du géocentrisme remplacé par héliocentrisme en pure théorie cosmographique, sans encore impliquer une quelconque physique, ça commence par là: par des découvertes qui n'impliquent pas strictement ce qu'elles néanmoins suggèrent aux esprits de ces temps.
Le géocentrique Aristote qui croyait aux cercles parfaits fut corrigé par le géocentrique Ptolémée quant aux tabelles de prévisions des conjunctions, des oppositions et c. planétaires (et puisque l'éclipse solaire est un conjonction de lune et soleil, il s'agit aussi de prévoir les éclipses, et puisque la pleine lune - y compris celle de Pâques - est un opposition entre ces deux corps, il s'agit aussi de prévoir les pleines lunes).
Ensuite trois astronomes se succèdent: le héliocentrique Copernic corrige le géocentrique Ptolémée. Le géocentrique Tychon Brahé corrige le héliocentrique Copernic. Et finalement, encore dans la ligne prénewtonienne de l'astronomie, le héliocentrique Kepler, disciple de Tychon, corrige son maître géocentrique à moins de lui avoir volé sa dernière autocorrection en le tuant avec poison. Donc, tour à tour, les héliocentriques et les géocentriques se corrigent sur les tabelles.
La question qui les divise n'a pas l'air d'affecter la correctitude des tabelles. En revanche ce qui les affecte est une autre question que celle du centre absolu de l'Univers.
Pour Aristote les planètes vont en cercles autour de la terre (c'est à très pue près vrai quand au mouvement quottidien du ciel autour de la terre, si on accepte le géocentrisme, mais inexacte si on fait abstraction du mouvement quottidien pour regarder les mouvements rélatifs au zodiak). Pour Ptolémée (qui fait abstraction du mouvement quottidien pour étudier les tours autour du zodiak) elles vont en cercles autour d'un centre qui lui-même va autour de la terre. Pour Copernic et Kepler, mais aussi pour Tychon Brahé, le soleil est leur centre immédiat, la différence que Copernic et Kepler le posent aussi comme centre absolu (de tout l'univers!) aussi pour la terre et Tychon Brahé fait chemin inverse en le posant comme annuellement mu autour de la terre ne change rien pour l'exactitude. Finalement, Kepler devient encore un peu plus exacte en remplaçant les cercles avec des ellipses. Les discrépances entre Tychon et Copernic ne sont pas dues aux systèmes, mais aux observations particulières.
Le décisif dans l'histoire de l'astronomie, selon un historien des sciences dont j'oublie le nom et le tître (ajoutez, chers lecteurs, si vous savez), le décisif en adoptant le Copernicanisme est que Tychon Brahé avait invalidé Ptolémée, et que l'autre système avec un ancienneté presque comparable était pas le nouveau système de lui-même, mais le système de Copernic. Ce n'est pas un argument. C'est une préférence pour le déjà établi.
Où en était l'Église dans ces changements? Et plus précisement l'Église en France?
Prenons par exemple Bérulle. Un jour il fait l'observation que pour le soleil physique l'héliocentrisme est tenu par assez peu des philosophes, mais pour Le Soleil de la Justice l'héliocentrisme est indispensable. Un autre siècle et un autre pays, Égypte sous les persécutions des Romains, Origène avait pour le constat que Jésus-Christ se tient immobile pour nous fournir la lumière qu'il nous faut pour vaincre l'ennemi spirituel, pour vaincre nos fautes, et les démons qui les exploitent, avait préféré de donner l'allégorie pour le Jour de Josué plutôt que pour l'héliocentrisme. S'est-il prononcé, pour revenir à Bérulle, en faveur de cet héliocentrisme qui interessait les astronomes? Non.
Était-il un homme qu'on aurait pu qualifier comme apparenté aux Lumières? Il était un Oratorien. Le fondatuer de son Ordre, St Philippe Néri, avait lévité pendant les Messes. Un autre Oratorien fameux vient d'être critiqué par les sédisvacantistes, en même temps que Mgr Williamson, qui l'admire: il s'agit de John Henry Cardinal Newman. Un homme qui pendant sa jeunesse estimait impossible de prouver l'existance de la matière (comme l'estimait aussi l'évêque anglicain et idéaliste Berkeley) et qui trouvait les Milles et Unes Nuits comme absolument plausibles quant au place accordé au surnaturel. Et un autre Oratorien d'origine galloise et espagnole était le tuteur des frères John Ronald et Hilary Tolkien selon le testament de leur mère qui les a du laisser orphélins (elle mourait dans une diabète assez grave, me semble-t-il). Son disciple John Ronald va plus tard refuser de nier catégoriquement l'existance des elphes, comme on sait.
Revonons à leur camarade dans l'Oratoire, Bérulle. Jean Dagens qui était alors agrégé ès lettres à Alger et qui fit sa thèse pour le doctorat en 1950 (avant la Guerre d'Algérie alors) nie qu'il aurait eu le même esprit critique que plus tard Casaubon. J'ignore de quel Casaubon il s'agit, mais il me semble plus probale qu'il s'agisse de Méric Casaubon, un docte anglican, qui en 1655 écrivit Concerning Enthusiasme in Religion et en 1668 un tractat qui défendit la sorcellerie comme une réalité. Car son père, Isaac Casaubon, ami de Théodor de Bèze et d'Henri IV, était plutôt concerné par les éditions grècques et, après son exile en Angleterre, la défense de la position anglicaine de Jacques I contre le Cardinal Perron. Il n'entre donc pas tellement dans le débat. Or, Jean Dagens en fils des Lumières etc. estime que Bérulle était moins moderne que Casaubon, probablement le fils Méric Casaubon qui pourtant croyait la sorcellerie comme réalité.
J'invente rien, si je ne donne pas références des pages, je vous réfère au moins à lœuvre de Dagens: Bérulle et les Origines de la Restauration Catholique (1575-1611). Regardons le chapître dont l'objet ait pu provoquer cette comparaison chez Dagens. Ça devrait être le chapître sur l'héritage classique ou sur l'humanisme. Et Dagens place Bérulle en dépendance intellectuelle, via un François de Faix qui fut prisonnier au Châtelet, de Ficin et de Pic de la Mirandole.
Bérulle semble à un endroit - lequel vous verrez en ouvrant Dagens - avoir placé Hermès Trismégiste (idolisé par les payens) comme un philosophe, à peu près contemporain de Saturne! Bon, il est donc pas du tout un croyant à la Théogonie comme vérité théologique, il pose simplement les identités suivantes:
- Coelus - Noé
- Saturnus - Nemroth
- Jupiter - ?
- Belus Priscus, fils de Jupiter
- Ninus, fils de Belus, premier roi des Assyriens, dont le regne est contemporain de la naissance d'Abraham.
Le même Trismégiste est, selon Bérulle aussi, un théologien parmi les ethniques, un philosophe duquel s'est plus tard inspiré Orphée (oui, lui aussi a existé) et le philosophe orphique Aglaophemus a initié Pythagoras, et le Pythagoricien Philolaüs a initié Platon.
La première traduction de l'Ancien Testament en Grec fut lu par Platon, la Septante n'est que la deuxième. Platon fut un "Moïse parlant Athénien". Et Dénis l'Aréopagite - voir le chapître sur la scholastique - fut le Platonicien qui accepta l'Évangile par la bouche de St Paul.
Qu'il ait cru De Divinis Nominibus ou De Cœlesti Hierarchia génuinement Dénisiens ou non, Bérulle les estimait et les considérait comme de la bonne théologie catholique comme l'avait fait déjà Sts Thomas d'Aquin et Bonaventure.
Après, c'est vrai que Bérulle a estimé Descartes plus tard aussi. Mais après ceci, qui oserait prétendre que Pierre Bérulle ait été ce que nous qualifions comme "un Cartésien"? Ou encore ce que nous considérons comme un homme "des Lumières"?
Ajoutons que, aussi comme les deux Saints Frères Mendiants de la Sorbonne, il estimait Aristote comme un bon propédeutique ès sciences naturelles à Platon. Comme je crois que c'était le cas pour St Bonaventure, il voyait pas Aristote comme le meilleur métaphysicien. Et même St Thomas d'Aquin était Platoniste sur la question des Conceptes Universelles.
St François de Sales a défendu un prêtre italien - il s'agit d'un barnabite il me semble - qui lui avait soutenu le héliocentrisme en philosophie. D'abord, quand Saint François de Sales soutient ce prêtre que ses supérieurs voulaient mettre hors contact directe avec la pastorale, ce sont ses qualités linguistiques qu'il loue: il arrive même à nous expliquer le système de Copernic en français intelligible. Ce n'était pas le cas pour chaque barnabite. Ensuite, la Summa Philosophica de ce prêtre semble avoir soutenu l'héliocentrisme en tant qu'hypothèse, pas en tant que théorie absolue ou vérité physique. Finalement, il s'agit d'une défense faite uniquement après le premier procès contre Galilée, dans lequel il a été moins sévèrement condamné et après lequel l'héliocentrisme semblait encore possible à défendre comme une hypothèse en mathématiques.
Et venons alors à Mersenne! Il est Galiléen, mais pas en Astronomie, il l'est plutôt en acoustique et donc physique, et en musicologie. Il est aussi un Minime, un Franciscain obligé à vivre une Vita Quadragesimalis - de vivre chaque jour comme les autres Catholiques en Carême. Et bien qu'il croit que Galilée a raison, que le son n'est pas autre que le mouvement (c'est à dire les vibrations) de l'air, il admet la possibilité philosophique qu'il puisse aussi être une qualité qui accompagne ce mouvement et qui en dépend sans y être identique.
Néanmoins, je crois que Mersenne, un très bon acousticien et musicologue, et ceci dans le Siècle de Louis XIV quand la musique reprend en importance, a pu rendre la physique de Galilée attractive par l'exactitude des observations musicalement rélévants qu'il en tire. Et la physique de Galilée, c'est déjà "atômes dans le vide".
Entre Pierre Bérulle, St François de Sales et Mersenne, je crois que celui qui a fait le plus pour changer le climat intellectuel entre 1500 et 1800 est précisement Mersenne. Au moins avant 1735, avant les Lumières dont bonne partie carrément antichrétiens et large partie maçonniques. Et il ne serait pas y arrivé s'il n'avait pas eu des mélomanes plutôt que des scholastiques parmi ses lecteurs les plus avides.
Pour la part de Descartes - dont la physique n'était pas Newtonienne, puisque les Lumières sont précisemment l'époque où on change entre physique Cartésienne et celle de Newton en France - dans ce changement, je laisse l'enquête aux francophones plus interessés en Descartes que je le suis pour le moment.
Je ne peux que de conclure que pour les différences entre le climat intellectuel de 1500 et celui de 1800, l'Église est, à part un interêt pour la physique de Galilée (on estimait bien avoir un physicien plus exacte qu'Aristote, comme on estmait à la même époque bien de faire un calendrier plus exacte que celui donné par Jules César), pas exactement l'avant-garde de la nouvelle vue des choses. Il y a des gens qui y voient la honte de l'église. Ça serait trop de dire "j'y vois sa gloire" puisque sa vraie gloire est autre, audelà des ces questionnettes. "Nous y voyons le bien," convient peut-être mieux, comme disait Maurras à propos le syndicalisme au delà du socialisme et à propos la monarchie au delà de l'anarchie. Pas le summum bonum, biensûr, juste le bien dans cette question.
Elle y a indirectement ouvert les portes, c'est autre chose.
Si les cas de lévitation donnent occasion à la question si c'est par les anges ou par les démons que lévite un-tel ou un-tel, ce n'est pas exactement l'Oratoire, dont le fondateur lévitait, de mettre en doute les cas de lévitation et par conséquent pas non plus la question sur les anges et sur les démons.
Des observations un peu pareilles auraient pu être dites de l'Église. L'attaque contre le merveilleux est plutôt ouverte par les Calvinistes, pourquoi pas par Pierre Bayle pour qui la domaine de la foi se trouve dehors la domaine du rationnel (Pierre de Bérulle n'aurait pas concédé que De Divinis Nominibus serait contraire à la domaine de la raison) et vice versa.
Hans-Georg Lundahl
BpI, G. Pompidou
Ste Lydie
3 août 2012