Histoire pour Pascal Praud (Rattrapage) · Taillable et corvéable à merci · Que dire sur un article trouvé en LaCroix ce matin?
Je dirais qu'il a au moins une certaine tendance à démoniser le Moyen Âge, et de peindre les réformateurs en rose. Au moins c'est le cas pour ce passage, que j'ai copié, et par souci de m'épargner encore des copies à mains (les journaux et les ordi ne sont pas en même salle à la BU de Nanterre), j'ai arrêté la lecture.
Le public du Moyen Âge n'avait accès à la Bible que par la liturgie de la messe en latin et les homélies, les scupltures et peintures des églises ou les pièces de théâtre jouées sur le ârvis des églises à Noël et Pâques. En favorisant le passage aux langues d'usage, les réformateurs vont permettre un accès plus large aux textes. Dès les débuts du protestantisme, ceux qui adhèrent à la Réforme vont s'atteler à retrouver le sens littéral des textes bibliques, délaissant l'interprétation allégorique très en vogue au Moyen Âge. Cette forme d'exégèse, qui prêtait aux mots d'autres sens (Jérusalem pouvait renvoyer à l'Église et non à la ville de Judée), pouvait ainsi donner lieu à des interprétations fantaisistes. Fils de leur époque, bercés par un humanisme florissant et le progrès des sciences, les protestants vont privilégier un rapport au texte plus rigoureux.
Est-ce que c'est la vérité ...? Prenons détail après détail ...
Le public du Moyen Âge n'avait accès à la Bible que par la liturgie de la messe en latin et les homélies, les scupltures et peintures des églises ou les pièces de théâtre jouées sur le ârvis des églises à Noël et Pâques.
La phraséologie "n'avait ... que par ..." donne l'impression d'un genre de disette. Si on analyse ce qui est positivement dit et se souvient de l'adage de C. S. Lewis qu'il est difficile de prouver un négatif universel, alors il semble qu'au Moyen Âge tous les média étaient aussi bien au service de la Bible que de nos jours tous les média sont au service des attaques à sa crédibilité.
En plus, de fait, la liste n'est pas exhaustive, on avait fait un abrégé de l'histoire biblique, appelé Historia Scholastica, œuvre qui comporte quelque érudition de type humaniste extrabiblique mais qui se concentre sur l'histoire biblique. Or, on faisait des traductions de cette histoire biblique, entre autres en Flamand, appelée Die Rijmbijbel - la "Bible en rimes".
Ou le Speculum Generale de Vincent de Beauvais semble, selon les mots de mon ami érudit en Suède, Stephan Borgehammar, aussi converti, d'avoir comporté une partie de l'histoire biblique, quoique le contenu était du type encyclopédie. Imaginez donc une culture dans laquelle une encyclopédie ne comporte rien des dinosaures ayant vécu il y a 65 millions d'années, ni d'affirmation que nous nous sommes développés des primates, mais par contre des choses comme ceci (je reviens à Historia Scholastica):
Natus est autem Salvator anno regni Augusti Caesaris quadragesimo secundo. | Mais le Sauveur est né, en l'an du règne d'Auguste César le quarante second. | |
Annos enim duodecim qui a morte Julii duxerant, usque ad Actium [Col.1540B] bellum, regno Augusti connumeramus. | Car nous comptons avec le règne d'Auguste les douze ans qui mènent de la mort de Jules jusqu'à la Guerre d'Actium. | |
Anno vero regni Herodis trigesimo universo orbe pacato, Olympiadis centesimae nonagesimae tertiae anno tertio. | Et l'an du règne d'Hérode le trentième, quand le tour du monde était en paix, dans la troisième année de la cent neuvant et troisième Olympiade. | |
Anno ab Urbe condita septingentesimo quinquagesimo secundo, natus est Dominus. | L'an de la Ville fondée sept cent cinquante second, est né le Seigneur. | |
Natus est autem nocte Dominicae diei, quia si tabulam computi retro percurras, invenies hujus anni concurrentem quintum, regularem Januarii tertium. | Mais il est né la nuit de Dimanche, parce que si on parcourt en arrière la table de computus, on trouve de cette année "un cinquième concurrent, le troisième régulier de Janvier" (je ne comprends pas!) | |
Quibus junctis et sublatis septem, remanet unum. | Auxquelles ont enlève depuis la somme sept, restent un. | |
Itaque Kalend. Januarii in Dominica invenies quae concurrunt. | Donc, on trouve qu'ils concourent en premier Janvier en un Dimanche. | |
Nam ea die qua dixit: Fiat lux, facta est lux (Gen. I),--visitavit nos Oriens ex alto (Luc. I). | Car le jour sur lequel est dit Que la lumière soit ! et la lumière fut (Genèse I), -- nous a visités, d'en haut, le Soleil levant (Luc I). | |
Inchoata vero secundum quosdam septima aetas a Nativitate Christi, secundum Apostolum, qui ait: Cum venerit plenitudo temporis, etc. | Débutant donc, selon certains le septième âge de la Naissance du Christ, selon l'Apôtre qui dit : lorsque est venue la plénitude des temps, etc. [Galates 4:4] | |
Secundum alios a die qua baptizatus, propter vim regenerativam datam aquis. | Selon d'autres du jour qu'Il est baptisé, à cause du pouvoir donné aux eaux [dans le baptême] de régénérer les âmes. | |
Secundum alios a passione, quia tunc aperta est porta, et inchoata est quodammodo septima quiescentium. | Selon d'autres dès la passion, parce qu'alors est ouverte la porte, et débuta en certaine manière un septième [âge] des réposants. | |
Fluxerant quidem ab Adam anni quinque milleni centum nonaginta sex, aliis nonaginta novem, ab Abraham duo millia duodecim, secundum LXX; secundum Hebraeos vero longe pauciores. | Mais étaient écoulées d'Adam cinc mille cent neuvante six années, pour d'autres neuvante neuf, d'Abraham deux mille douze, selon les LXX; mais selon les Hébreux, beaucoup moins nombreuses. |
Ma traduction, le texte de gauche tiré de:
Historia Scholastica/Evangelists
sur Vicifons (wikisource en latin]
https://la.wikisource.org/wiki/Historia_Scholastica/Evangelists
Et ceci était aussi accessible en langue vernaculaire, par Rijmbijbel, par les éditions vernaculaires de Vincent de Beauvais. En plus, ce latin médiéval ecclésiastique (pas à confondre avec le "latin médiéval" d'un Grégoire de Tours!) était assez facile à apprendre, et donc le clergé n'était pas du tout seul à l'avoir appris. Certes, pendant la Renaissance, les ambitions des latinistes à copier les tournures et l'usage en total d'un Cicéron vont rendre le latin davantage difficile.
En favorisant le passage aux langues d'usage, les réformateurs vont permettre un accès plus large aux textes.
Pas beaucoup, aux textes bibliques mêmes. On ne parle pas des Gidéonites, qui distribuent des Bibles gratuitement en masse. Au temps des Réformateurs, ça va permettre à des commerçants qui n'ont pas appris le latin, et aux nobles qui ont été trop paresseux pour l'apprendre (pas tous) d'approcher les textes, pas à la masse du peuple.
Dès les débuts du protestantisme, ceux qui adhèrent à la Réforme vont s'atteler à retrouver le sens littéral des textes bibliques, délaissant l'interprétation allégorique très en vogue au Moyen Âge. Cette forme d'exégèse, qui prêtait aux mots d'autres sens (Jérusalem pouvait renvoyer à l'Église et non à la ville de Judée), pouvait ainsi donner lieu à des interprétations fantaisistes.
Juste parce que les Réformateurs ont, je ne vais pas faire d'euphémisme et dire "délaissé", mais carrément rejeté l'interprétation allégorique, ne veut pas dire que les Médiévaux avaient délaissé ou négligé le sens littéral. Il n'était pas "ensévéli" sous l'exégèse allégorique et ne restait donc pas à "retrouver". Ils avaient donc une manie de "retrouver" ce qui n'était pas perdu. Mais du tout.
Je viens justement de citer un exemple dans lequel le sens littéral, historique, des renseignements chronologiques, tels que Genèse 5 et 11 pour les années écoulées entre Adam et Abraham. Et ici la manie de retrouver ce qui n'était pas perdu va encourager de préférer les Hébreux aux LXX.
Fils de leur époque, bercés par un humanisme florissant et le progrès des sciences, les protestants vont privilégier un rapport au texte plus rigoureux.
Écarter le sens allégorique ne constitue pas une approche plus rigoureuse au sens littéral. Préférer les Hébreux aux LXX ne la constitue pas non plus. Le "rapport au texte plus rigoureux" est donc simplement un slogan de publicité.
On a par contre encouragé une prise "à la lettre" ou "au pied de la lettre" prématurée vis-à-vis des choses qui n'étaient pas des renseignements, mais des règles. Certes, on ne l'a pas faite de la manière des scoptses, en se coupant des membres chirurgicalement pour éviter des tentations (mais leurs successeurs puritains au XXe siècle l'ont fait, voir les stérilisations forcées qui ne débutent pas avec les Nazis, mais avec des Protestants en démocraties, ou les lobotomies ... ou ça a vaguement été l'inspiration et parfois une excuse).
Que les Réformateurs étaient fils de leur époque est par contre trop vrai.
Chesterton vient de dire, dans une énumération des vertus de l'église catholique "elle est la seule chose qui nous sauve de l'esclavage dégradant d'être des fils de notre époque".
Or, ici on a mal compris cette époque. Les réformateurs étaient certes bercés de l'humanisme, mais pas des "progrès des sciences". L'humanisme avait certes un progrès des disciplines historiques, mais pas des sciences naturelles. D'un côté, je ne regarde pas Copernic comme un vrai progrès, sauf en peu d'exactitude pour les tables du computus, déjà évoqué pour le Moyen Âge, là il va être devancé par Tycho Brahe, qui va être devancé par son disciple Kepler, et celui-ci est né après les actes qui constituent la Réforme, en 1571. D'un autre côté, quand à ce qui est intéressant comme pseudo-progrès, les Humanistes s'en fichent. Et les Réformateurs avec, ou le considèrent comme un égomane. Newton (né 1642), Harvey (né 1578), pour l'acoustique Mersenne (né 1588) et Galilée (né 1564), ils font des vrais progrès, mais qui sont postérieurs à l'humanisme et donc aussi aux actes majeures de la Réforme.
Mais pour les disciplines historiques, certains progrès débutaient qui allaient vers leur perfection dans le XIXe s. Quand Calvin accusait les Catholiques d'adorer Vénus, en faisant allusion à la prétendue "mariolatrie", il faisait référence à un à peu près humaniste, cette accusation n'aurait pas pu subsister sous la rigueur des humaniores disciplinae d'une Allemagne du XIXe s. Ce genre d'accusations, qui comprennent le paganisme ancien encore pire que le Catholicisme dont était issu Calvin lui-même, se retranchent en XIXe s. dans les très arriérés parmi les doctes ou sémidoctes, tel un Hislop.
Et pour ce qui est de la vérité biblique, autre question que l'accès aux textes mêmes, l'esprit critique des Réformateurs vis-à-vis l'Église et le Moyen Âge a mis des armes dans les mains de ceux qui l'attaquent, qu'ils le comprenaient ou non, Galilée, Darwin, Freud, Marx etc.
Hans Georg Lundahl
BU de Nanterre
Lendemain de St. Luc
19.X.2018
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