Monday, September 7, 2015

Jean Blot sur Mozart, après lecture, 1. partie

Jean Blot p. 42

« Quand tu étais petit, tu n’allais jamais au lit sans avoir chanté, débout sur ta chaise Oragnia figatafa, en m’embrassant à plusieurs reprises et en finissant par le bout du nez. Tu me disais alors : ‘quand tu seras vieux, je te mettrai bien à l’abri sous un globe de verre, dans un bocal pour te protéger de l’air, te garder toujours près de moi et continuer à te vénérer’ » On partage l’émotion du père, même si, lecteur de Freud, on sent passer un frisson – ce bocal – dans le dos ! Si docile pourtant ce fils, si respectueux et aimant, assurant : « Tout de suite après Dieu vient papa. »


Freud n’est pas un bon guide. Et le « pourtant » n’a rien de nécessaire. Le bocal peut s’expliquer de deux manières :

  • 1) Wolferl avait noté que des personnes vieilles ne sentent pas toujours très bien, et en envisageant ça, il avait conçu un moyen de garder le respect (si à Salzburg cinq enfants sur sept meurent normalement, comme dans leur famille, l’hygiène n’est pas au niveau de Dourdan à la même époque) ;

  • 2) il avait noté que des vieux attrapaient plus facilement un rhume ou pire quand ils étaient exposés à l’air – et il avait conçu un moyen de protéger son père d’une mort prématurée.
Dans les deux cas, on peut concevoir que Leopold savait très bien de quoi il s’agissait, vu que Wolferl le répétait si souvent. Dans les deux cas, l’évocation de Freud est inutile.

Pourtant, Jean blot défigure une biographie sur Mozart avec cette évocation des « implications » freudiennes qui ne sont pas d’implications (au moins ici !) et des valeurs freudiennes qui ne sont pas des vraies valeurs. Page 40 il vient d’évoquer l’enfance de Wolferl et ajoute :

On peut penser que cette image ne nous habite si bien que parce qu’elle habitait aussi Mozart. Il l’a porté en lui, il en fut marqué. Il y revenait pas comme à un souvenir, mais comme à une inspiration à laquelle il restait fidèle , ou comme à une servitude, mieux une malédiction : cet infantilisme dont, à en croire les contemporains et sa correspondance, il ne fut jamas tout à fait libéré.


« Infantilisme » comme expression n’encombrait sans doute pas trop le vocabulaire de Mozart. Ni des nobles et des gentilshommes dont il partageait en beaucoup le style, mais il ne le partageait probablement pas (direction des musiciens à part ?) dans leurs airs d’officier. Quant au témoignage des contemporains, je ne sais pas de quoi parle Blot, je saurai peut-être (ou, après lecture, je n’ai pas su quand même). Quant au témoignage de sa correspondance, je crois que Blot la lit à travers ses conceptions un peu … pas trop traditionnellement occidentales, comme bien sûr quand il tourne « inspiration à laquelle il restait fidèle » (pas faux) en « malédiction, cet infantilisme » ( faux par contre).

Tolkien aussi considérait son enfance et même chaque enfance normale , ou au moins les goûts et les savoirs de cet âge comme « une inspiration à laquelle il restait fidèle » – bien entendu avec toutes les ressources ajoutées qu’il allait acquérir en devenant adulte (voir On Fairy Stories, le chapitre sur l’enfance). Déraciner et déplacer un arbre est autre chose que de la laisser ou de l’encourager à grandir. Et je partage cette vue.

Notons, Mozart avait un goût, voir un amour des syllabes, italianisantes, et une inventivité qui l’avait poussé à inventer les « mots » sans signification connue de ce chant Oragnia figatafa. Tolkien avait le même goût pour les syllabes – et il utilisait ses ressources de doctrine linguistique pour la satisfaire en inventant des langues, des poëmes avec signification.

Pour retourner aux sottises de Jean Blot, regardons celle-ci (p. 47) :

Leopold connaît ces risques ou les prévoit. Or l’homme n’est pas jeune, ayant quarante ans à une époque où la longévité moyenne est de quarante-cinq ans…


J’aimerais savoir s’où il tient ce renseignement sur la longévité moyenne. Mais j’ai déjà une piste : ça pourrait être un de ces pseudo-renseignements qu’on recycle sur le passé, surtout celui préindustriel. Si on ne tient pas compte des morts en âge d’enfance ou jeunesse, mais compte ça comme une autre histoire que l’expectation de vie d’un homme adulte, cinq siècles plus tôt, celui de St louis, la « moyenne arithmétique » ( ?) ou valeur médiane (c’est le mot utilisé ailleurs) est environ les 60. Un peu plus bas pour la royauté, un peu plus haut pour bourgeois et clergé connus. Imaginer qu’elle ait baissé vers 45 (hormis les victimes de la Révolution française et les guerres ensuivantes) est un peu improbable. Et à la différence de lui, ou de ce qu’il exprime, j’ai une conscience claire que j’annonce aux lecteurs quant à mes sources. J’ai parcouru des noms dans la wikipédie en m’assurant de faire des sélections pas directement basées sur l’âge atteint (hormis l’exclusion normale des morts-en-bas-âge, comme autre question, et comme, hormis royautés, inaccessible).

C’est possible que ce chiffre baissera si on compte la mortalité infantile dedans, qu’il baisse même aux 45 ans. Mais un enfant qui meurt n’était pas un âge de décès comparable au sien pour un homme de 40 – ou de 45. Et la vieillesse en elle-même, comme phénomène physique, dépend de l’âge comme d’un absolu, pas de l’âge comme un relatif aux âges des décédés.Ou encore, si relatif du tout, alors seulement à la génétique (car on avait des génomes ou des télomères différents avant le Déluge – sauf les cas exceptionnels (ou pas tels) quand on vit une vie dure qui vieillit plus vite (mais les éventuels concernés ne sont pas si documentés et étudiés quant à leurs âges de décès). Donc, non, à 40, Leopold était certainement déjà « pas jeune » mais n’était pas encore pour autant « vieux ». Comme aujourd’hui, d’ailleurs. Jean Blot, pour précieux qu’il soit par l’évocation de Mozart en tellement de détails, a une culture déconcertante par le nombre des perspectives et même « simples faits » (quoique longévité moyenne n’en est pas, mais relève de fait dérivé, de conclusion), qui sont carrément faussés.

J'interromps mes notes sur le livre et je vais à l'article Jean Blot (dont la bibliographie ne mentionne pas Mozart/biographie).

Alexandre Blokh, dit Jean Blot, né le 31 mars 1923 à Moscou, est un écrivain, traducteur et haut fonctionnaire français, d'origine russe. Docteur en droit, licencié ès lettres, fonctionnaire international à l'UNESCO, il travaille pour l'ONU dès 1946 et voyage ainsi dans le monde entier. Secrétaire international du PEN club, il crée en 1990 le Pen Club russe.


Ah bon? Peut-être la lecture de Mozart et la désinformation sur « longévité moyenne 45 » viennent d'une éducation communiste et d'un engagement pour l'ONU et pour l'UNESCO, alors. Stranger things have happened, comme on dit en anglais.

Et les Communistes aussi, ils prônent un « maturitisme » devant lequel l'attitude de Mozart pourrait passer pour « infantilisme » beaucoup plus facilement que devant mes yeux ou mon jugement. Un « maturitisme » qui relève très souvent du street smart, donc du cynique en fin de compte, d'une vue pessimiste du passé, édulcorée par un optimisme pas toujours postiche du futur.

Hans Georg Lundahl
BU de Nanterre
Veille de la Nativité
de la Très Sainte Vierge Marie
7-IX-2015

Amazon : Mozart, par Jean Blot
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La wikipédie : Jean Blot
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Blot

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