Le Problème d'Édouard le Roy: Aquin ou Bergson, partie I ·
partie II
J'étais assez plein d'espoir en ouvrant un livre par Édouard le Roy. Celui-ci avait - il me semble que j'eusse trouvé le propos sur wikipédia - dit qu'on ne puisse pas par l'expérience conclure si c'était le Terre qui tournait autour du Soleil ou - comme nous le disent nos sens - le Soleil qui tourne autour de la Terre.
Il semble qu'il ait été un peu kantien et pas mal bergsonien. En d'autre mots, un peu sot. Ce que je trouve, c'est
Le Problème de Dieu, Première partie "Comment se pose le problème de Dieu" et ensuite I. Il y cite d'abord la Prima Via de St Thomas d'Aquin, de Prima Pars, Quaestio Secunda, Articulus Tertius, in Corpore Articuli. Et il prétend critiquer ce qu'il y trouve.
"Prima autem et manifestior via est quae sumitur ex parte motus. Certum est enim, et sensu constat, aliqua moveri in hoc mundo. Omne autem quod movetur ..."
Là il me semble manquer quelque chose. Ma mémoire me dit:
"Prima autem et manifestior via est quae sumitur ex parte motus. Certum est enim, et sensu constat, aliqua moveri in hoc mundo, utputa sol. Omne autem quod movetur ..."
Il traduit, ce que je trouve aussi dans la grande édition francophone de la Somme:
"La première voie, et la plus claire, est celle qu'on prend à partir du mouvement. Il est certain, assuré par les sens, que des choses sont en mouvement dans ce monde. Or, tout ce qui est en mouvement ..."
Ni dans sa note en bas de page (il comptait à cette époque civilisée plus que la nôtre que les lecteurs normaux comprenaient assez facilement le latin et c'est donc le texte latin qu'il a dans les lettres de taille normale dans le contexte, et la traduction française qui est en lettres reduites en bas de la page et de la page suivante) je ne trouve pas ce qui me semble être la bonne traduction de la pensée et des mots de St Thomas:
"La première voie, et la plus claire, est celle qu'on prend à partir du mouvement. Il est certain, assuré par les sens, que des choses sont en mouvement dans ce monde, par exemple le soleil. Or, tout ce qui est en mouvement ..."
... et pour comprimer: tout ce qui est en mouvement est mu par un autre, cet autre est soit immuable, soit aussi mu par un autre, on ne remonte pas en infini, donc il y a un premier par lequel sont mu les autres choses mais qui n'est pas mu lui-même. Dieu.
Bon, et quoi en dit le Roy?
"J'ai tenu à citer ce passage tout au long, parce qu'il est admirablement significatif et révélateur. On ne saurait trop le méditer, car il réunit, met à nu et condense en formules saisissantes, presque sans exception, les divers postulats sur lesquels reposent les arguments d'ordre cosmologique. Une méthode, une attitude d'esprit sont là tout entières, justement celles qui nous rendent les vieilles preuves désormais inacceptables."
Il est donc - comme Kant - adversaire des preuves thomistes d'ordre cosmologique. Il note en bas de page:
"Je ne conteste ici qu'un raisonnement de saint Thomas, non point le fond de sa théologie."
Cette qualification se laisse débattre. Pour moi, il n'est pas un thomiste, mais soit un moderniste prononcé, soit un "aquikantien," c'est à dire "un loup Kantien sous les vêtements de brebis de l'Aquinat." Il me semble que quand saint Thomas exoplore plus en détail les attributs de Dieu, il le fait avec un recours assez notable précisément sur Dieu comme précisément Primus Motor Ipse Non Motus. Par exemple en qualifiant Dieu comme parfaitement simple, incomposé, par rapport à sa qualité de moteur de l'univers.
le Roy nous joue un autre mauvais tour aussi.
"Les progrès de la critique, le changement des points de vue font que ce qui paraissait peut-être obvie aux contemporains de saint Thomas ne nous semble plus aujourd'hui ni simple, ni clair, ni même vrai."
Saint Thomas ne se basait pas sur ce qui paraissait obvie à son temps, il se basait sur ce qui est obvie, assuré par les sens. On voit que le soleil bouge, surtout les levers de soleil, les couchers de soleil, les occasions de voire le soleil apparaître ou désaparaître derrière un objet autre que l'horizon.
Certes, il y a un "progrès de la critique" par rapport à laquelle ceci ne semble ni simple, ni clair, et surtout ni vrai à un "nous" auquel le Roy se dit appartenir. Ce progrès de la critique s'appelle héliocentrisme. C'est une critique qui mine le témoignage des sens. On voit le soleil bouger, on croit que ce soit la terre qui bouge autour d'elle-même. On verra pourquoi je dis "on" et non pas "nous".
Et, pour enfoncer le clou dans le cercueil de la prima via, il y a une note en bas de page pour ceci aussi:
"Ne pas oublier, d'ailleurs, que cette preuve a été cosntruite à une époque où personne au fond ne ressentait le besoin d'une preuve."
C'est possible qu'à cette époque personne ne ressentait le besoin d'une preuve au fond, comme aujourd'hui il y a des kantiens qui exigent une preuve d'avoir vu ce qu'ils ont vu et de ne pas avoir subi un mirage ou une quelleconque illusion. On pourrait même dire qu'ils ressentent au fond non pas tellement le besoin que l'impossibilité d'une preuve. Mais de là à dire que c'était au fond personne qui ne ressentait pas du tout le besoin d'une preuve, c'est faux. Saint Thomas était actif à la Sorbonne, endroit où son évêque trouvera un peu après sa mort 219 articles condamnables. Il s'agit des condamnations du dimanche de "letare iherusalem" de la carême avant Pâques de 1277.* Et vraiment tout aussi sceptiques que le kantianisme.
Dire que la preuve de saint Thomas était acceptée comme preuve par des gens qui ne ressentaient pas le besoin d'une preuve, c'est faux, c'est perfide. Que la perfidie soit du Roy ou de Comte (dont je viens il y a quelque temps de feuilleter le préface à ses leçons populaires sur la mécanique céleste ou sur le sysème du monde: une excuse totale pour les contemporains de s'occuper de quoi que ce soit que les métaphysiciens ou les théologiens aient eu à observer sur quoi que ce soit, sauf à tître d'arrière-fonds purement historique à une pensée plus moderne et positive), qu'elle soit consciente d'elle-même chez l'un ou l'autre ou non. C'est objectivement la trahison complête d'un débat qui peut autrement traverser les siècles, et par là de la traversée des siècles des vérités déjà établies dans ce débat. Notons: ouvertement. On ne compte surtout pas sur la loge ou des choses comme ça de perpétuer un débat pluriséculaire, ce sont des groupuscules qui préfèrent la trahir pour dorer une pensée trop contemporaine et donc stupide avec un peu de jouaillerie pillée d'un autre siècle ou deux. Au moins c'est mon expérience de ces gens quand ils se trouvent sans le tablier, mais je ne compte pas qu'ils deviennent à la fois honnêtes et intelligents quand ils le mettent.
Bon, Édouard le Roy peut exprimer par plusieurs mots sa loyauté à une pensée post-aquinienne et sa conviction que la pensée thomasienne sur ce point est à jamais morte et audelà de toute résurrection. On peut deviner que je ne sois pas d'accord avec lui non plus qu'avec Copernic ou Galilée, Newton ou Darwin. Mais il a la vertu d'aller aussi à des détails précis. Je m'y fonce avec soulagement.
"Pour bien entendre la preuve ainsi construite, il faut noter le sens très large dans lequel y est pris le terme de mouvment. Chez les péripatéticiens et les colastiques, ce terme désigne plus que le simple changement de lieu dans l'espace ..."
Vrai. Si par "désigne plus que" on entend vraiment "plus que" et non pas "moins que" ou "à la fois plus et moins que". Il désigne tout simple changement de leiu dans l'espace aussi, sauf peut-être les miraculeux (si le corps de Christ est et demeure physiquement présent au Ciel, il ne devient pas présent sur l'autel par un mouvement, comme on entend ce mot normalement, mais par un miracle, car il reste aussi au Ciel).
Le problème est que des modernistes voudront reduire, non point comme le Roy abolir totalement "cette seule pensée" sans aussi abolir le reste du thomisme, mais vraiment reduire et garder en état reduit, la prima via. Elle serait donc vrai pour le mouvement du bois sec aux braises de feu, mais non pas pour le mouvement du Soleil à travers le Ciel, car celui-ci serait illusoire et ceux qui en prennent la place seraient dûs ... bon, attendons les mots d'Édouard le Roy. Et entre-temps, regardons le corrolaire.
Si le mouvement local dans toutes ses formes et touché et impliqué dans cet argument et si le simple immédiat regard suffit (à défaut des preuves du contraire au moins) pour établir que le soleil est mû, alors, le soleil ne peut pas être le primus motor, car il est mû lui-même et donc mû par un autre.
Si par contre le mouvement local deviendra d'avoir été la forme la plus obvie du mouvement et d'une forme pleinement impliqué dans l'argument, autre chose que le mouvement au sens scholastique, si restent pour celui-ci juste les autres mouvements, il y a deux problèmes:
- 1) le mouvement devient d'une chose claire une chose obscure. Mystérieuse. L'argument devient donc moins clair comme argument.
- 2) Mais aussi ceci: les autres mouvements dans notre expérience pourraient avoir le Soleil ou même quelque chose d'inférieur au Soleil comme premier moteur non mû. Et le soleil lui-même serait également plutôt mû par lui-même que moteur non mû. Mais il est avec une telle réduction facile de travestir la prima via de saint Thomas à un argument pour un paganisme héliolâtre, comme celui des très récents qui vientn de dire "oublie le Christ, une étoile est morte pour que tu puisse vivre" en référence aux éléments au-delà d'hydrogène et d'hélium qui seraient selon les modernes dûs aux explosions d'étoiles plus lourdes (ou plus vieilles ou plus autre chose) que le soleil.
Donc, il me paraît - au moins pour un thomiste - d'une importance primordiale de garder la prima via telle que saint Thomas l'a historiquement entendue et acceptée, telle qu'Édouard le Roy l'entend et la rejette. Je crois que ceci est la cause pourquoi C S Lewis - qui avait justement enseigné la philosophie, notemment Kant et Hegel, avant de redevenir Chrétien - ne donnait pas les premières trois voies telles quelles dans sa propre preuve de Dieu dans le livre Miracles. Sa propre preuve étant une expansion de la quarta ou quinta via, la sagesse comme attribut de l'éternité, car incapable de surgir comme produit de quoique ce soit d'autre, combinée avec l'argument de saint Thomas contre l'unicité de l'intellect, erreur que saint Thomas et CSL refusent de partager avec Averroës. Pour des très bonnes raisons.
Si de folie on pourrait qualifier la pensée d'Édouard, il y a de méthode dans la folie. Quelles sont donc les présupposées méthodologiques?
"Rien n'est plus contraire aux tendances de la pensée contemporaine, et à ses meilleurs tendances, je veux dire aux plus fécondes, aux plus fructueuses, que ce jeu déductif d'entitées conceptuelles."
Coupons, pour un disciple de Gilbert Keith Chesterton ou de CSL il y a de quoi goûter les mots - avant de les recracher.
"Rien n'est plus contraire aux tendances de la pensée contemporaine ... que ..."
Bon, ce n'est pas aux tendances sociales ni au contemporain (qui en est une) que la pensée se doit pencher mais elle doit se tenir droite dans la vérité reconnu en procédant vers la vérité encore à reconaître.
"...aux tendances de la pensée contemporaine, et à ses meilleurs tendances, je veux dire aux plus fécondes, aux plus fructueuses, ..."
Fécondes de quoi? Fructueuses en quoi? Figues ou épines? Grappes ou chardons? Une tendance n'est pas bonne parce qu'elle est féconde et fructueuse en n'importe quoi, elle est bonne si elle est féconde et fructueuse en bons fruits.
"Rien n'est plus contraire ... [à] ... la pensée contemporaine ... que ce jeu déductif d'entitées conceptuelles."
Ou simplement, avec plus de clarté et moins de grandiloquence que les français de nos jours confondent avec profondeur:
"[C]e jeu déductif d'entitées conceptuelles [est mauvais]."
La bonne réponse est: pourquoi? Est-ce son but qui est mauvais ou juste la méthode?
Est-ce le savoir que saint Thomas recherchait qui était mauvaise - ou un aspect de méthode qu'on pourrait qualifier de jeu, de déductif, ou de truffé d'entitées conceptuelles?
C'est vrai que c'est plus amusant de suivre une démonstration à contenue mathématique faible et conceptuelle forte, comme chez saint Thomas, que de suivre une démonstration à contenue conceptuelle floue mais mathématique précise en résultats et spécialisée comme chez les scientifiques modernes. C'est même probablement vraie que les pensées philosophiques de saint Thomas peuvent avoir été conçus pendant la récréation plutôt que pendant la prière, la prêche ou ... peut-être pas les études des gens qu'il commente, quand même, car là il garde un bon esprit. L'étude s'appelle aussi σχολη ce qui est Grec pour récréation. La pensée de saint Thomas est donc forcément un peu ludique.
Mais d'où vient le préjugé que le jeu ôte et que la mine sérieuse garantisse l'accès à la vérité? Dès jeux des enfants mal élévés pour qui la fourberie est un jeu de prédélectation, peut-être? Sale expérience, alors, sur laquelle fonder un préjugé avec des conséquences si lourdes. Sale, car révélatrice d'un esprit mesquin si celui qui le pense ait commis ces fourberies lui-même, et révélatrice d'une enfance malheureuse en absense des jeux, s'il ne les a pas commis, car alors il n'a ni joué par fourberie, ni autrement, c'est à dire il n'a pas eu l'occasion de jouer. Mais chez certains ce préjugé vient juste de conformité aux adultes qui prennent déjà ce préjugé trop au sérieux, sans le remettre en jeu.
Il y a aussi des gens qui disent "il joue juste sur les mots" quand il ne se voient ni convaincus par un raisonnement, par exemple de saint Thomas, de GKC ou de CSL, ni capables de préciser où ils trouvent l'erreur à supposer qu'il y en a une. C'est une attitude intellectuelle du fatigue, du rejet fatigué de ce qu'on n'a pas l'énergie de mettre à l'épreuve avant de décider s'il faille le rejeter ou le garder. C'est une attitude qui se trouve souvent dans les esprits des banquiers, par exemple par rapport à un philosophe qui condamne la prise d'interêt. Une attitude que les debteurs du-même banquier pourraient trouver prudent d'imiter, au cas qu'il soit en quoi que ce soit intimidant.
Ce préjugé pourrait aussi avoir d'autres raisons dont je n'ai pas pensé moi-même, mais parmi les raisons que j'eusse pu trouver moi-même, aucune est une validation valable du préjugé contre le jeu d'esprit comme bonne attitude dans la récherche de la verité. Reclamons-nous, sans honte du ludique qu'on peut trouver chez saint Thomas.
Après, le mépris du déductif. GKC répond dans son livre sur saint Thomas que c'est idiot, ce mépris. Tout le monde fait des déductions quand on raisonne. C'est uniquement en faisant des déductions qu'on peut raisonner. L'induction est loin d'être une méthode alternative et meilleure de raisonnement, c'est juste le fait de collectionner les faits. Mais une fois les faits collectionnés, par induction, ce n'est que par la déduction qu'on raisonne.
Ensuite le mépris pour les entitées conceptuelles. CSL répond que quand un moderne prétend débusquer les métaphores de la théologie, et y substituer une langage épurée, moins métaphorique, il devient en fait plutôt d'avantage prisonnier de ses métaphores, car il tombe en métaphores qu'il prend pour monnaie comptante.
Je ne suis pas tout à fait d'accord avec CSL que tout ce qu'il considérait comme métaphore, quoique sanctionnée par l'Écriture et donc bonne, était vraiment métaphorique. Il n'était lui-même pas avec d'autres qui reduisaient encore davanage dans la théologie à une métaphore à épurer en faveur d'un prétendu état aggrandi d'esprit et de vérité. Quelque chose de pareil peut être dit sur les concepts de saint Thomas. Il prend très soin, beaucoup plus que les modernes, de quasiment calquer chaque concept, chaque entité conceptuelle, sur une réalité vérifiée et expérimentelle. Il y a des modernes qui prennent par exemple zéro pour un nombre. Ou "la ligne des nombres" pour une réalité mathématique, sans qualification ultérieure. Les deux sont des concepts légitimes en certains contextes, mais il faut bien délimiter les contextes et ne pas les confondre avec le contexte de nombre en général. Une confusion que n'aurait jamais fait saint Thomas.**
Ce qui nous amène au cœur de la question.
le Roy préfère Bergson à saint Thomas. Comme Newton, il considère le mouvement comme le normal et le repos comme ce qui devrait être expliqué. Un peu comme Stravinski récherche les dissonances pour elles-mêmes et ensuite excuse et motive les consonances par le jeu contraponctique. Revenons donc à ce qu'il dit sur la prima via - notons, malgré le fait qu'il ait été catholique et aumoins pro forma admirateur de saint Thomas: en la rejetant. Au moins telle quelle.
"D'abord elle implique et suppose l'adoption préalable de certains postulats rélatifs au mouvement."
Et son rejet n'impliquerait pas et ne supposerait pas l'adoption préalable d'autres postulats moins évidents? Il reposerait sur les preuves solides pour la possibilité d'un mouvement qui était autrement que celui que décrit saint Thomas? Voyons.
"Elle procède en effet d'une méthode de réification statique familière à la pensée commune, sur laquelle j'insisterais un instant."
Réification veut normalement dire de considérer ou de prétendre de considérer - donc
faire (facere, dont factio/ficatio) en sa pensée ou en ses mots - comme une
chose (latin res) - ce qui n'est pas dans sa nature une chose. Je ne vois pas exactement où saint Thomas serait coupable de ceci.
Statique ... bien les choses sont statiques dans leur être. Un homme demeure un homme. Un singe demeure un singe. Un chat ne se transforme pas en chien, ni un chien en chat. Une femme ne devient pas un homme, ni un homme une femme, sauf parmi les crevettes, mais là on parle plutôt de mâles et de femelles. D'autres choses sans avoir une nature statique sont néanmoins statiques dans leur nature tant qu'elles persistent. Un mouvement local peut bien produire un rechauffement, mais il n'est pas un rechauffement, et c'est un peu mystérieux chez les physiciens modernes s'ils prétendent qu'il se transforme en rechauffement.
Cette réification statique serait en outre familière à la pensée commune.
Ceci est sans doute son défaut principal pour le Roy. Certains hommes ne sont pas contents que s'ils tiennent un discours qui ni n'est ni ne peut devenir familier à la pensée commune. Parmi ceux-là, je ne compte évidemment pas Alcuin de York après avori lu son Dialogus pour le Prince Pépin, ni saint Thomas. Ils se tiennent au contraire très prèts de la pensée commune.
"Revenons au texte de saint Thomas. On y parle du mouvement comme de 'quelque chose' qui se donne et se reçoit, qui passe d'un corps à l'autre et se transmet en tout ou en partie, bref comme un accident qui s'ajoute à des substances en elles-mêmes immobiles."
Il traduit la pensée de saint Thomas en quelque chose moins claire, pour mieux la pouvoir prétendre à réfuter. Un peu comme le font les psychiatres avec leurs cas. Mais lui, comme les psychiatres, ce sont des penseurs modernes.
Pour Newton, le mouvement est presque une substance "en elle-même immobile" (quoique modifiable par les forces, par exemple de pression/friction, de gravitation, d'accélération par conservation du momentum en perte de masse, et j'en passe), et les modernes - ceux comme le Roy, au moins - ajoutent le pas supplémentaire de regarder les choses comme accidents qui s'ajoutent à ce mouvement substantiel. Je ne suis pas du tout sûr que ce ne soit pas en vérité le Roy que se fasse coupable d'une réification statique toute gratuite et sans fondement.
Mais comparons ce qu'il dit aux mots même de saint Thomas.
"On y parle du mouvement comme de 'quelque chose' ..."
Nulle part.
"...qui se donne et se reçoit,..."
Regardons des faits touts banaux: une balle reçoit le mouvement d'une explosion. Une autre explosion donne le mouvement aux pistons des cylindres d'un moteur. Ceci n'est pas limité aux choses artificielles. "La gravitation" (ou le poids naturel de l'eau) donne mouvement à une cascade, sa chute donne mouvement aux bulles qui forment l'écume, les bulles suspendus à chaque instant donnent dispersion spectrale aux rayons du soleil et effectuent un arc en ciel autour de la cascade. Les mouvements des rayons de lumière donnent un mouvement de réaction à un point donnée à l'arrière de l'œil d'où reçoit le cerveau une impression de ... beauté. Que le mouvement, local ou autre, se donne et se reçoit entre les divers corps et qu'il ne demeure pas enfermé perpétuellement dans un seul corps, ni ne subsiste sans ni corps ni rayon de lumière, c'est un fait banal, ce n'est pas un défaut de méthode chez saint Thomas d'Aquin. C'est par contre un fait banal sur lequel il fait reposer son raisonnement.
"Impossible donc que, sous le même rapport et de la même façon, une chose quelconque" [il ne dit pas "un mouvement quelconque" et ne réifie pas le mouvement] "soit tout ensemble mouvante et mue, c'est à dire qu'elle se meuve elle-même".
Ensuite le Roy poursuit:
"... qui passe d'un corps à l'autre et se transmet en tout ou en partie, ..."
Si on prend la première partie elle est synonyme des autres mots déjà cités, sauf que ce n'est pas toujours d'un corps que passe le mouvement, et donc vérifiée mille fois et contenue en la phrase thomiste déjà cité tout alors.
Si on prend les autres mots "et se transmet en tout ou en partie" la phrase contient effectivement les mots "tout ensemble mouvante et mue" qui s'opposent logiquement à "en partie mouvante et en partie mue". Mais ce n'est pas le mouvement qui est "soit tout ou en partie," c'est la chose. Et si la chose était par rapport au même mouvement tout ensemble mouvante et toute ensemble mue, alors il n'y aura pas de transmission du mouvement. Le cas que saint Thomas ne nie pas est qu'une chose puisse être en partie mouvante et en partie mue, comme l'animal est mu par son torse et mouvante par ses pieds, qui sont mus par le désir ou par la peur ou la colère ou la curiosité ... etc. Ou que la voiture soit mue dans le chassis et mouvante par les roues, qui eux sont mues en rotation par un mouvement qui prend son origine dans une explosion dans le cylindre.
Encore une fois, l'expérience donne pleinement raison à saint Thomas et la grammaire déjà donne tort au Roy. Il a pris "tout ensemble" et donc son opposée impliquée "en partie" comme qualificatif de la transmission du mouvement, il s'agit d'un qualificatif de la chose au dedans laquelle un mouvement peut être transmise de partie à une autre mais non pas de l'ensemble à l'ensemble.
"On introduit donc, par le langage même qu'on emploie, comme support nécessaire du mouvement, une chose, un noyau, un substrat"
Ce qu'il implique en bonne logique, pour ne pas avoir à admettre en fin de compte chaque fois qu'on discute un exemple qu'il y a effectivement un substrat, est qu'il puisse y avoir un mouvement sans chose mue, sans chose mouvante. Un peu comme la sourire du chat de Cheshire, sourire qui reste en place après l'évanition du chat (si vous connaissez Lewis Carroll). Quand Walt Disney fait un dessin animé, il n'arrive pas à faire suffire le non-substrat totalement sans substrat. On voit, dans la sourire, les dents délimitées par la courbe des lèvres qui n'y sont plus.
Saint Thomas et Saint Bonaventure sont en désaccord si la lumière visible est bien une qualité chez un substrat, comme l'éther, ou un substrat avec la qualité d'éclat, telle que la veut chez les modernes la théorie des photones. Mais je ne sais pas si saint Bonaventure aurait trouvé nécessaire de découper le substrat lumineux en particules émises en série. Et une théorie la qualifie plutôt de mouvement en vagues que de qualité: normalement elle aussi conduit à une nécessité d'un substrat, comme l'éther.
Reste que la nécessité d'un substrat pour le mouvement est un donné du sens commun, avec saints Thomas et Bonaventure, et contre le Roy.
"Tout est plus ou moins imaginé sous les espèces d'une boule qu'on place d'abord devant soi en repos, puis à laquelle on communique ensuite une impulsion."
Non, saint Thomas varie les images. Il les varie parce qu'il pense qu'une forme expériencée du mouvement éclaire une autre et ensemble elles éclairent le mouvement en général.
Le mouvement a dans notre expérience terrestre un terminus a quo et un terminus ad quem. Le terminus ad quem est un terminus dans lequel la chose n'est pas déjà et qui est possible pour la chose. Il a une cause ou une série délimité de causes simultanés qui par rapport au mouvement ne forment qu'une.
Quand au local ceci se vérifie dans le tir d'une pierre. Le tir débute dans la main ou dans la fronde. Il finit sur la terre ou un objet élévée mais stable. Être dans ce lieu stabilement est une puissance pour la pierre avant le tir et un acte de la pierre après le tir. Un tir ne se finit pas un mètre audessus le sol en plein air, nulle pierre peut reposer un mètre audessus du sol en plein air. Un tir ne se finit pas non plus dans la main ou elle commence, au moins pas sous le même rapport. Un boumerang peut finir dans la même main, mais une fois une main jetante, l'autre fois une main recevante. Et le tir du boumerang est plutôt un mouvement composé, d'abord par énérgie imprimée par la main vers un point où elle s'évanouit et se courbe et ensuite dans la suite de cette courbe le mouvement de chute différée jusqu'à ce que la main retouche le boumerang. Un tir ne commence pas sur le millimètre précis du sol où la pierre tombe finalement. Ou alors il n'y a pas de tir.
Pour le local ça se vérifie aussi par le façonnage d'un fourgeron, ou l'application d'un fil en cousure ou brodérie: quand le morceau de fer déborde trop à droite, il est en puissance d'être plus serré vers le gauche, il est reduit à cette puissance par le coup du marteau, et le marteau est reduit au coup par le mouvement du bras, et le bras levé est reduit au bras éclabossante le marteau par l'acte musuclaire volontaire, et les muscles sont mus volontairement par la volonté; quand le fil est en haut de l'étoffe il est en puissance de se retrouver en bas de l'étoffe par n'importe quel trou, il est reduit à cet acte par l'action de l'aiguille et l'aiguille suit les doigts, qui suivent l'intention du brodeur ou de la brodeuse, tissé par tissé. Et chaque tissé est d'abord flou et ensuite reduit à un état plus étroit par le fait de tirer dans le fil. Le terminus ad quem d'un seul mouvement est différent du terminus a quo, le terminus ad quem est d'abord une puissance et ensuite un acte pour la chose mue, et ce n'ets pas elle-même qui se meut. L'exemple est aussi très bon pour illustrer l'impossibilité d'un regrès vers l'infini. Si la volonté avec ses moyens n'était pas une cause suffisante mais requererait une autre cause derrière qui requererait encore une autre cause simultané derrière et encore une à l'infini pour chaque instant, la broderie ou la forgerie n'arriveraient jamais à progresser un seul coup de marteau ni un seul tissé.
Pour l'écriture il n'y a qu'une étappe à ajouter derrière l'intention à écrire: d'avoir un contenu à écrire (je parle de la vieille méthode qui finit sur papier et non sur le numérique, autrement il y a aussi une étape o quelques-unes à ajouter après ce qui se trouve devant les doigts).
Pour la destruction par le feu, ça se vérifie par le bois qui ne s'enflamme pas tout seul (et les substance qui le font en température normale ne le font qu'en contact avec l'oxygène ou autre chose), le bois non brulé est autrement que le bois brulé, et le bois brulé, à différence d'un morceau de fer est quelque chose vers laquelle le bois non brulé est en puissance.
Pour le changement de température de l'eau, ça se vérifie en ceci qu'une eau tiède qui demeure tiède ne change pas de temérature, le changement n'a lieu que quand l'eau tiède devient chaude par l'ajout de vapeur dans les machines espresso ou par l'ajout des pierres brulantes, ou quand elle devient froide par l'ajout de glaçons ou de neige. La température qui est terminus ad quem différe bien de la température qu est terminus a quo, condition pour qu'on puisse parler de mouvement ou de changement de température. La température à laquelle on arrive est déjà là et audelà par rapport à la température précédante dans la chose qui change la température.
Et là, saint Thomas ne tenait pas compte des électrons qui chauffent un objet de métal, ni des machines qui créent le froid par le vacuum et la diffusion en volumes beaucoup plus grandes. S'il les avait connus, il avait reduit le changement de température à un changement local ou un changement dans le mode de changement local qu'est la vibration, vers le plus lent ou le plus rapide. Et le mouvement local aurait été encore davantage le modèle pour le mouvement ou le changement en général.
Pour la génération ça se vérifie: sémen masculin et sémen féminin (sperme et ovule, donc, à son époque confondus avec les liquides dans lesquels ils glissent ou bougent) d'un même espèce sont le terminus a quo, ovule fertilisé ou fétus (et par là nouveau-né, par là petit, pubère, adulte) le terminus ad quem, l'action qui produit le changement est la mise ensemble, chez les animaux instinctive seulement, chez les hommes instinctive et intentionnelle à la fois, chez les aberrations que sont la fertilisation in vitro et la production des "néphélim" et pareil après (selon les thomistes qui disent que les anges n'ont pas d'appareil réproductif de tout), intentionnelle seulement. Et - ce qui est le point - l'action de mise ensemble n'est pas le seul fait de ces liquides mais requiert en tout cas l'action supérieur d'une volonté ou d'un désir - et que ce désir ne soit pas détourné vers un objet qui ne peut pas conduire à une fertilisation. Ça aussi tombe sous la définition aristotélicienne et thomiste du mouvement.
Pour la mort (l'opposé de la génération) ça se vérifie aussi. On est en puissance d'être des cadavres. Le processus qui y conduit montre certaines variations, mais n'est jamais identique au cadavre lui-même, ni strictement identique à la personne ou l'animal auparavant vivant, mais se doit à une causalité plus forte. Les médecins diraient qu'elle est parfois plus petite, néanmoins elle est par example dans ce cas plus forte que le fonctionnement normal du système immunitaire.
En chaque genre de mouvement on vérifie donc les "postulats" ou "théories" de saint Thomas. Même nous les modernes les vérifions. Non pas à elles seules, mais à tître de cadre général et indispensable.
Hans-Georg Lundahl
Centre Georges Pompidou à Paris
St Fidèle de Sigmaring
24-IV-2013
à suivre ...
*Carême avant Pâques 1277 - nous disons donc de l'an 1277, déjà début Mars, mais à l'époque l'année débutait peut-être plutôt le 25 mars et ils disaient les condamnations de 1276. Pour les latinophones il y a un lien envers ma mise en ligne:
Index in stephani tempier condempnationes
http://enfrancaissurantimodernism.blogspot.com/2012/01/index-in-stephani-tempier.html / breve vinculum: http://petitlien.com/tempier
Pour les francophones, il y a cette édition:
La condamnation parisienne de 1277. Texte latin, traduction, introduction et commentaire par
D. Piché, avec la collaboration de Cl. Lafleur, Paris, Vrin, 1999 (Sic et Non), 351 p.
**Pour anglophones:
Assorted retorts from yahoo boards and elsewhere ... on reality of existence of numbers (and on Pythagoreans and Bruno)
http://assortedretorts.blogspot.com/2013/04/on-reality-of-existence-of-numbers.html / short link: http://ppt.li/2i