Il écrit* les pp. 56 s. (mon emphase) :
La doctrine ancienne de la résurrection universelle qui faisait de la vie éternelle un rassemblement général des êtres humains depuis la création, s'accordait bien avec le principe d'Aristote qui disait que l'individuation se fait par la matière ; Thomas d'Aquin, dans un débat célèbre, en avait conclu, par exemple, que les anges, sans matière, formaient chacun une espèce. Les corps sans matière des élus et des damnés participaient de cette transformation ontologique qui supprimait les différences individuelles au profit de la communauté de l'espèce.
Oupse, Alain!
Avant la résurrection, les âmes élus ou damnés n'ont pas retrouvé leurs corps, sauf certains exceptions parmi les élus, notamment la Bienheureuse Vierge. Et après, les corps ne sont pas sans matière.
En plus, individuation ne veut pas dire "différences individuelles" mais le fait de ne pas être le même. Et en plus, elle est le début de ce fait, et le fait persiste chez les âmes séparés qui entre mort et résurrection se trouvent sans corps.
Mais notons surtout que les corps ne sont pas sans matière :
QUESTION 79 — L’ÉTAT DES RESSUSCITÉS ET D’ABORD LEUR IDENTITÉ
ARTICLE 3 — Les cendres reprendront-elles, dans le corps humain ressuscité la place qu’elles y occupaient ?
http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/sommes/7supplementreginald.htm#_Toc426117759
Quand on parle d’identité, il faut distinguer la question de nécessité et celle de convenance. Quant à la première, à ce qu’exige l’identité, il faut considérer dans le corps humain deux espèces de parties : les unes sont homogènes ou de même nature, par exemple, des parties de chair ou des parties d’os ; les autres sont hétérogène ou de nature différente, par exemple, de la chair et de l’os. Si une partie en remplace une autre de même espèce, le changement est purement local, et ne constitue pas une différence spécifique dans un tout homogène et n’empêche donc pas l’identité de ce tout. Il en est ainsi dans l’exemple cité par le Maître des Sentences une statue refaite avec les mêmes éléments n’est plus la même quant à la forme ; mais elle est la même quant à la matière qui lui donne d’être une substance déterminée ; et c’est par sa matière qu’elle est homogène, et non par sa forme artificielle.
Si la matière d’une partie en refait une autre d’espèce différente, elle ne change plus seulement de place, mais d’espèce : elle n’est plus la même, à condition toutefois que toute la matière de la première, ou tout ce qui, en elle, appartenait vraiment à la nature humaine, passe dans la seconde. Or, si les parties ne sont plus les mêmes, les parties essentielles, bien entendu, le tout, lui aussi, n’est plus le même ; il en va autrement, s’il s’agit de parties accidentelles, comme les cheveu et les ongles, auxquels saint Augustin semble faire allusion. - On voit par là à quelles conditions un tout peut rester le même, quand ses éléments matériels changent de place.
La question de convenance rend plus probable le retour des mêmes parties matérielles à la place qu’elles occupaient, au moins quant aux parties essentielles et organiques ; quoiqu’il puisse en être autrement pour les parties accidentelles, comme les cheveux et les ongles.
QUESTION 83 — LA SUBTILITÉ DU CORPS DES ÉLUS
ARTICLE 5 — La subtilité du corps glorieux l’affranchit-elle de la nécessité d’être dans un lieu semblable à lui-même ?
http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/sommes/7supplementreginald.htm#_Toc426117781
Un corps n’est en rapport avec le lieu que par les dimensions qui lui sont propres et qui sont comme épousées par le corps dans lequel il est localisé. Pour qu’un corps pût être dans un lieu plus petit que lui-même, il faudrait donc que sa quantité devînt plus petite. On ne peut concevoir cette diminution que de deux manières. 1 La matière reste la même, mais sa quantité varie. Certains l’ont admis et font dépendre cette variation, en plus ou en moins, de la volonté de l’âme qui commande à son gré au corps glorieux. C’est impossible. En effet, aucun mouvement ne peut porter sur les éléments intrinsèques d’un être, sans "une passion ou modification qui affecte sa substance même". C’est pourquoi les corps célestes, qui sont incorruptibles, ne sont soumis qu’au mouvement local, extérieur à eux-mêmes. Un changement de quantité serait donc en contradiction avec l’im passibilité et l’incorruptibilité du corps glorieux. En outre, ce corps aurait donc une densité variable, puisque sa matière resterait la même avec un volume différent, ce qui est également inadmissible. - 20 La quantité du corps glorieux pourrait diminuer par une nouvelle disposition de ses parties qui rentreraient les unes dans les autres et pourraient se réduire à une quantité infinitésimale. Ceux qui admettent la coexistence dans le même lieu d’un corps glorieux et d’un corps ordinaire, l’attribuant à la subtilité, ad mettent également ce phénomène de compénétration, qui peut aller si loin, prétendent-ils, qu’un corps glorieux serait capable de passer tout entier par le pore le plus étroit d’un autre corps. C’est ainsi qu’ils expliquent la naissance du Christ et son apparition à ses disciples. Cette opinion est inadmissible. D’abord, la subtilité ne permet pas à un corps glorieux d’occuper le même lieu qu’un corps ordinaire, ni surtout qu’un autre corps glorieux, comme beaucoup le disent. De plus, pareille hypothèse est contraire à la condition normale du corps humain, qui exige que chacune de ses parties ait sa place déterminée et que toutes soient juxtaposées les unes aux autres. Un miracle même ne saurait donc la réaliser. Il faut donc conclure que le corps glorieux occupera toujours un lieu égal à lui-même.
Donc, oui, les corps auront de la matière (et ceux de Notre Seigneur et de Notre Dame au Ciel ont de la matière), et ils auront de l'espace (ceux de Notre Seigneur et de Notre Dame l'ont déjà) et cet espace sera de la même taille que le corps.
Il convient aux médiévistes d'être un peu mieux en scholastique que ça!
Hans Georg Lundahl
Paris
St. Nicanor de Chypres**
10.I.2022
* La Religion de l’État. La construction de la République étatique dans le discours théologique de l’Occident médiéval (1250-1350), Paris, Les Belles-Lettres, 2006, 351 p. ** In Cypro beati Nicanoris, qui fuit unus de septem primis Diaconis; atque, gratia fidei et virtute admirandus, gloriosissime coronatus est.
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