Le Duc d'Anga vaut bien un manga, le Duc d'Anguein le vaut très bien · Corrigeant Jean Sévillia sur quelques points · Nicolas II et la Révolution
Grâce à la prière de St Geoffroy d'Amiens, hier et ce matin j'ai enfin pu consulter le livre le plus connu de cet éminent auteur : Historiquement correct. Pour en finir avec le passé unique. J'ai dû arrêter la lecture à la page 97, et je décidai de le rendre plutôt que de l'emprunter plus longtemps.
Sur pas mal de points, l'instruction était de sa part envers moi, mais sur quelques détails, je serais capable de le corriger.
Le chapitre sur la féodalité est excellent, j'étais ravi de voir la liste des provinces françaises où l'alleu était en bonne pratique, puisque la péninsule scandinave aussi ne connaissait pas le servage (par contre, l'esclavage fut aboli assez tard, le XIV S.), j'étais un peu étonné que la corvée était uniquement pour travaux communes, j'avais cru que c'était quand les serfs ou paysans tenanciers labouraient sur le domaine de leur seigneur, en contrepartie de leur droit de labourer leur propre glèbe les jours sans corvée.
L'histoire générale de l'Inquisition n'est vraiment pas mal, et je recommande fortement ce qui est dit sur Croisades, sur Reconquête ou sur la Conquête des Amériques ibériques. Bien entendu, je n'ai jamais lu le Bestellwerk anticlérical ou de gauche "La Controverse de Valladolid", mais j'ai lu "La vraie Controverse de Valladolid", une référence à ne pas oublier. Je me hâte donc à y donner la référence d'auteur, que j'avais entretemps oublié: Jean Dumont (historien).
Ceci dit, sur le thème d'Inquisition, il y a des légères bavures.
Ce mot n'est pas trop fort en français?
Bon, la première Inquisition se serait répandu partout en Europe, sauf Angleterre. Et, la formulation, l'Inquisition. Et ensuite, il y a eu trois Inquisitions, la Médiévale, l'Espagnole et la Romaine.
Non et non.
En Suède il n'y a pas eu de secte hérétique pendant le Moyen Âge, un seul hérétique a été brûlé. Il avait raisonné ainsi "si on mord quelqu'un dans la chair, il se fâche, donc, si Notre Seigneur était réellement présent, il se vengerais sur ceux qui le mangent" (et donc, pas seulement sur ceux qui le font indignement), "donc il n'y est pas". Ça s'appelle avoir un entendement charnel de la présence réelle, mais pas forcément d'être par exemple Albigeois. Il a refusé de se corriger et il a été brûlé. Mais par l'état, simplement, par l'initiative de l'évêque, pas par l'Inquisition médiévale. Les Franciscains et Dominicains avaient d'autre chose à faire chez nous, notamment la république géré par ceux-ci sur Hispaniola est leur deuxième, ils ont eu une république en Finlande, sous protectorat suédois avant, entre la croisade contre pilleurs finnois idolâtres et la pleine annectation à la Suède.
En énumération des inquisitions comme trois et en précisant que l'Angleterre n'a pas eu d'Inquisition, il a oublié l'Inquisition anglaise.
Comme celle d'Espagne, elle était politique plutôt que purement religieux. C'est dommage que Jean Sévillia les oublie, parce que les Vaudois d'Arras [légère bavure de ma mémoire, voir plus bas] et Sainte Jeanne d'Arc sont, sur territoire français, victimes de l'Inquisition anglaise. Et maintenant à l'explication.
Comme il a expliqué en partie correctement, l'Inquition de Languédoc n'a pas eu de cause à se répandre en Angleterre. Un siècle plus tard, par contre, surgit en Angleterre un hérétique, un curé séculier qui certes attaque les Frères Mendiants et probablement aussi la Présence réelle (mais ceci a pu être une appropriation par des Protestants plus tard). Il s'appellait Jean Wyclef, et fut condamné posthumément:*
Au concile de Constance (5 novembre 1414 - 22 avril 1418), quarante-cinq propositions tirées de sept ouvrages de Wyclif par les théologiens du concile sont explicitement condamnées10. Il faut remarquer cependant que ces propositions durcissent généralement les thèses de Wyclif, dont l'expression est plus nuancée lorsqu'elles sont lues dans leur contexte10. Jan Hus, qui se fait le défenseur des thèses de Wyclif au concile, est condamné comme hérétique lors de la 15e session et brûlé le jour même (6 juillet 1415)10.
La référence 10 de l'article est Denzinger, probablement* donc Enchiridion Symbolorum et Definitionum, 1854. Je doute que le jugement "Il faut remarquer cependant que ces propositions durcissent généralement les thèses de Wyclif, dont l'expression est plus nuancée lorsqu'elles sont lues dans leur contexte," soit là dans l'édition originale de l'Enchiridion, celle de 1854. C'est aussi possible que l'hérétique brûlé en Suède le soit après le Concile de Constance. De toute manière, Jean Wyclef et ses sectateurs encore vivants sont donc condamnés par ce concile.
Par contre, l'Inquisition anglaise existe contre ces sectateurs bien avant** ce concile. On les appelait Lollards, et à part de soutenir certains thèses de Wyclef, ils considéraient aussi deux autres choses, qui les rendaient odieux pour les Anglais de l'époque.
L'une étant que les beaux arts avaient perdu leur droit dans la liturgie entre les Testaments, et en dehors de la liturgie ils ne seraient que des luxes nuisibles. Donc, être orfèvre ou peintre ou enlumineur ou doreur de livres était occupation malhonnête. Ils étaient autant aimés par certains contemporains que les Musulmans et les "sectes américaines" par les propriétaires des vignobles. C'est à dire, assez peu. En plus, ils labouraient cette thèse avec pas mal de hargne, paraît-il.
Autre choses qui les rendait impopulaires, ils préconisaient que dans le Nouveau Testament toute guerre était illicite, injuste, sauf sur révélation divine spéciale.
Notons, l'Angleterre à l'époque était fortement royaliste et le royaume assez expansif, un peu comme le Drang nach Osten et l'Opération Barbarossa était très populaire en une certaine époque plus récente (évidemment, je ne partage pas l'horreur de Jean Sévillia pour l'anachronisme - sauf quand il s'agit d'une bavure sur la chronologie). L'église catholique en Angleterre, notamment les évêques et le clergé séculier, partageaient ce point de vue. Comme les Gallicans admiraient Louis XIV, comme les évêques allemands les moins pro-Nazi avaient une compréhension en grandes lignes pour l'Opération Barbarossa.
Nuance, les Gallois, Écossais et Irlandais que la Royauté anglaise visait à soumettre dans les Îles britanniques et les Français qu'ils visaient à prendre en charge comme rois, ce n'était pas exactement des Bolchéviques. À la limite, l'Église celtique était en schisme depuis le concile de Whitby, et la présence anglaise mettait en Pays de Galles et en Irlande fin à ce schisme, mais ceci n'était même pas le cas en Écosse et évidement pas en France.
Donc, les Lollards se faisaient aussi haïr par le grand corps des Anglais pour une autre raison, ils condamnaient les guerres d'Angleterre, les guerres d'expansion pas explicitement autorisées et ordonnées en une quelle-conque révélation.
Il y a un autre groupe peu aimé en Angleterre, peut-être déjà à cette époque : les Frères mendiants. Un de ceux-ci se plaignait, si Abel avait été un Frère mendiant, un jury anglais l'aurait condamné pour le fait de tuer Caïn.
Qu'est-ce que ceci peut donner dans le Parlement anglais?
En 1401, la loi anglaise, voté par Parlement (y compris le haut clergé dans la Chambre des Seigneurs) et signée par le roi, s'appelle De heretico comburendo.
Elle vise chaque hérétique, paraît-il, et l'Inquisition ne se trouve pas dans les mains des Frères mendiants, mais des Évêques ordinaires. Les règles de procédure qui liaient peu à peu ce que Sévillia nomme l'Inquisition médiévale ne concernent pas cette Inquisition anglaise. J'avais, croyais-je, ici une référence à des Vaudois brûlés à Arras en 1411 - de Henri-Charles Lea, à partir de mémoire d'une lecture de volume 2 à Georges Pompidou. Hélas, j'aurais dû prendre des notes, la date 1411 se réfère à Cambrai, et Arras se réfère à 1460, après la Guerre de Cent Ans et en plus il s'agit des sorcellerie (HCL considère celle-ci comme produite d'imagination hystérique dans ce cas), pas des Vaudois. Et pour Cambrai 1411, je vois que Pierre Ailly ait demandé à l'inquisiteur de la province de le rejoindre "in the sentence" - pour confirmer le verdict, ou pour participer dans le procès?
"Still, the Inquisition was not wholly without evidence of activity in its purposed sphere of duty. We shall see hereafter that Pierre d'Ailly, Bishop of Cambrai, when, in 1411, he prosecuted the Men of Intelligence, duly called in the inquisitor of the province ... to join in the sentence."
H. C. Lea, History of the Medieval Inquisition, vol II, p. 139
https://archive.org/stream/historyofinquisiww02leah#page/138/mode/2up
Néanmoins, comme un évêque-inquisiteur anglais, l'évêque avait la possibilité de faire l'inquisition lui-même, pour cause, Cambrai en 1411 était sous les Anglais, et De heretico comburendo (statut de 1401) prévoit ce droit pour l'évêque. L'exemple le plus flagrant : Sainte Jeanne d'Arc.
Deux observations sur cette sainte et son procès.
D'abord, comme on se souvient, les Lollards étaient en règle générale pacifistes, mais prévoyaient une exception pour le cas d'une guerre ordonnée par une révélation. Or, Sainte Jeanne avait précisément fait la guerre aux Anglais sur l'autorité, surtout, en pratique, quoique pas manquant celle du roi, les révélations qu'elle avait reçues. Donc, l'acharnement de voir dans les voix et sa croyance en celles-ci une hérésie pouvait bien avoir à faire avec une association vague ou même un peu distincte avec les Lollards, et avec leur position ... en plus, ils ne croyaient pas non plus que l'Angleterre avait le droit de faire la Guerre en France, donc ... ceci reste à vérifier avec les détails du procès, du premier procès, pas celui qui la réhabilita après sa mort, mais c'est une piste à poursuivre.
Et l'autre observation : les troupes pro-Anglais ou "Anglais" parce qu'obéissants au roi d'Angleterre avaient confié à l'évêque de Beauvais le devoir de faire le procès, pas à un Dominicain ou Franciscain, comme dans l'Inquisition médiévale à sa procédure normale, et celui avait demandé au Parlement de Paris de se prononcer si c'était légitime : probablement parce qu'il savait très bien que De comburendo heretico était un statut séculier, et non un acte de l'Église, du magistère. Or, en 14 juillet 1429 le Parlement de Paris dit "oui, allez-y" (cette date du 14 juillet fera carrière comme fatidique pour la France un peu plus tard aussi, non?). Donc, Sainte Jeanne ne fut pas condamné par l'Inquisition médiévale normale, mais par l'Inquisition anglaise. Après, le parlement de Paris va se repentir de cet acte du 14 juillet.
Donc, oui, l'Inquisition a bel et bien atteint l'Angleterre, et ceci dans une forme speciale. Et, comme dit, elle n'a pas existé en Suède, juste un hérétique brûlé dans tout le Moyen Âge. Merci d'en prendre note en des réédition de cet éminent livre!
Et, l'Inquisition anglaise, pour y revenir, fonctionna une dernière fois en 1612, quand un anabaptiste mais aussi prophète autoproclamé fut brûlé sous le roi Jacques I, l'année après sa version protestante de la Bible. Elle avait aussi fait les si-dits martyrs de Coventry (non potest esse martyr qui non est in ecclesia), en 1511, dont une femme apparemment sur le fait de posséder des textes de prière en anglais. Le grand chroniqueur des "martyrs" plus ou moins selon lui "Protestants" John Foxe était marié à une proche de telle ou telle à Coventry, et contrairement à son autre documentation celle sur les environ 200 victimes de l'Inquisition anglaise, du statut De comburendo heretico, est assez bonne et sobre. Après, il a divagué, et c'est lui qui a donné un statut de salauds aux Inquisiteurs et de héros aux Albigeois, bien avant certains intellos généralement anticléricaux en France, plus tard.
Hans Georg Lundahl
BU de Nanterre
Dédicace de l'Église
du Saint Sauveur, à Rome
9.XI.2017
PS, non, Botulf Botulfsson* ne fut pas exécuté après la Concile de Constance, mais bien avant. Et vraiment bien avant, en 1311.
* Merci, la wikipédie!
https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Wyclif
https://fr.wikipedia.org/wiki/Heinrich_Joseph_Dominicus_Denzinger
https://en.wikipedia.org/wiki/Botulf_Botulfsson
** Au moins avant. Une décennie, environ.
No comments:
Post a Comment