Monday, July 9, 2012

Peut-on Comprendre le Bûcher pour Giordano Bruno? Mieux que les Journalistes Mêmes?


Mais Qu'est-ce Qu'ils Apprennent Donc Dans Ces Écoles de Journalisme?

Voici une citation révélatrice:

Chez Bruno, la magie ne joue pas un rôle sécondaire; toute sa pensée est au contraire fondée sur l'intuition "magique" d'un univers saisi comme un tout unitaire, un grand être animé, et sa métaphysique vise à articuler l'unification de la nature sur un retour à Dieu. ...


En d'autres mots: sa philosophie est déjà condamné par l'évêque Étienne Tempier et refuté par St Thomas d'Aquin (pas dans les fameuses Cinque Voies pour prouver qu'il y a un Dieu, la Prima Pars, la Seconde Question, le Tierce Article, mais un peu audelà ou il prouve que Dieu ne peut pas être l'univers - entre ces deux points St Thomas aura déjà prouvé que Dieu ne peut pas être qqc de composé). Sa philosophie ressemble fortement à la pseudothéologie d'un Teilhard de Chardin.

... Il décrit cet univers comme étant infini, en partisan enthousiaste des thèses héliocentriques de Copernic, il se représente le cosmos comme composé d'étoiles qui sont autant de soleils, centres de mondes infinis (un centre unique induirait des rapports spaciaux rigides et absolus); l'univers et vivant et, indéfiniment, se recrée et s'étend.

On comprend dès lors que la métaphysique et l'anthropologie bruniennes, orientées en un prodigieux élan vers la libre recherche de la vérité, aient été en décalage avec un siècle travaillé par d'incessants conflits et occupé par les guerres de Religion.


Cette parenthèse sur "un centre unique induirait des rapports spaciaux rigides et absolus" je ne sais pas si les auteurs de l'ouvrage ont des études bruniennes sérieuses, ou quasi de la plume du concerné, ou de la bouche du concerné et les plumes des sécretaires de l'Inquisition. Je pense plutôt que non. Je pense qu'ils ont attribué un peu trop béatement une idiotie inaccessible à un siècle encore suffisemment intelligent pour condamner Bruno intellectuellement: même lui, vivant ce siècle là, aurait du avoir quelque intuition qu'on ne raisonne pas l'absence d'un facteur sur le pur souhait de s'adonner à des spéculations qui marchent mieux sans ce facteur. Même le XX S. cette compréhension existe ci et là: par exemple j'ai eu depuis l'âge d'onze ans une nostalgie très narnienne pour un univers géocentrique. J'ai quand même attendu l'age de 33 avant de m'adonner à des spéculations sérieuses là-dessus, jusqu'à trouver un indice dans un livre d'astronomie combien peu la parallaxe prouve - à moins de supposer que les étoiles soient matière mortes et encore sans un quelconque être vivant capable à les faire bouger. Pendant 22 ans j'ai respecté un fait que je croyais prouvé, même si ce fait ne m'arrangeait pas. Mais c'est que je suis réactionnaire. Et au XVI S. un homme aurait pu croire donner une quelleconque conviction à qui que ce soit (bon, s'il était mage, c'était peut-être pour les mages pareils que lui) avec "un centre unique induirait des rapports spaciaux rigides et absolus"? Il n'était quand même pas fou! Pas dans le sans que le possédé auprès du lac Gadara aurait été un fou assez ordinaire s'il n'avait pas eu des démons que Notre Seigneur a expulsé.

Les lignes que je viens de citer viennent du "Livre Noir de l'Inquisition". Bayard Éditions, un éditeur catho, mais plutôt catho-moderne que catho-tradi. Il est traduit de l'Italien, l'original est donc chez un édietur Italien, néanmoins probablement pareil en attitudes. J'ai un certain doute que les deux journalistes Natale Benazzi et Matteo d'Amico aient pu faire une étude philosophique de la philosophie de Giordano Bruno, il leur a sans doute paru plus interessant de se pencher sur sa vie, cette vie qui sur le jugement des inquisiteurs a fini sur le bûcher.

Que la métaphysique et anthropologie bruniennes auraient été "orientées en un prodigieux élan vers la libre recherche de la vérité," voilà ce qui est faux ou peut facilement l'être. LUI comme personne l'était sans doute. Sa métaphysique n'était pas déjà là et accessible dans l'église. Son anthropologie non plus. Elles n'étaient donc pas accessibles à lui-même, qui était si avide d'elles, sauf par le moyen d'une orientation vers la libre recherche de ce qu'il prenait pour la vérité. En notre siècle, si prodigué de la cosmologie brunienne popularisée en forme matérialiste par Newton, et de la métaphysique brunienne, popularisé comme ésotérisme, c'est au contraire la cosmologie et anthropologie de ses Inquisiteurs - et des autres contemporains - qui ne m'est accessible à moi sans une telle liberté de rechercher. Mais finalement, la cosmologie et l'anthropologie bruniennes sont tellement peu logiques, c'est à dire comme conclusions à partir des faits extérieurs vérifiables par au moins deux sens et à partir du fait de la pensée et à partir du fait de l'histoire même sans lui vouloir attribuer une phrase anti-logique et anti-intellectuelle comme "un centre unique induirait des rapports spaciaux rigides et absolus", qu'en son cas il vaut mieux parler de la liberté de se mettre en oracle ou en mystagogue que de celle de se mettre en philosophe et - il était quand même ordonné prêtre - théologien digne de ce nom, donc de recherche véritable de la vérité.

Le cosmos des Inquisiteurs, visiblement pas identique à celui de Giordano, autrement ils ne l'auraient pas livré aux flammes, était-il différent en étant sans vie? Bien, non. Pas s'ils étaient d'accord avec St Thomas d'Aquin et avec Étienne Tempier. Le cosmos n'est pas un être vivant, une salle ou un territoire ne le sont pas non plus. Mais il peut bien être plein de vie pour ça: comme le territoire peut être habité comme la France et non désertique comme l'Antarctique, comme la salle peut être pleine plutôt que vide, le cosmos aussi peut être non vivant mais habité par vie.

Selon St Thomas d'Aquin et plein d'autres, les anges déchus sont effectivement déchus du ciel. On les retrouve dans l'enfer et dedans l'atmosphère terrienne. Mais les anges qui restaient loyaux à Dieu vont tout le chemin entre la terre - un centre unique qui induit des rapports spaciaux "rigides" et absolus - jusqu'au throne de Dieu dans le ciel empyréen au delà du ciel des étoiles fixes. Donc ils sont là ou se trouvent les étoiles fixes aussi. Et si Étienne Tempier a condamné la thèse que les anges meuvent les étoiles comme l'âme meut le corps, c'est à dire comme forme aristotélique meut la matière, il n'a en revanche pas condamné la thèse qu'ils les meuvent comme un pilote meut un navire.

Étienne Tempier et St Thomas d'Aquin avaient eux aussi, à Paris-Sorbonne affaire avec des panthéistes - à peu près. Ces panthéistes ou peut-être monopsychistes là croyaient que l'un intellect seulement existait pour toute l'humanité, que cet intellect là mouvait de temps en temps les âmes humains à penser correctement, mais pas toujours: donc finalement que la libre recherche de la vérité n'avait aucun sens. Leur maître à penser n'était pas un rechercheur libre, il était le protégé d'un tyran marocain. Quelque chose "fils de Rouchde" ou "Ibn-Rouchde". Que son prénom soit ignoré par ses admirateurs latins, à la Sorbonne, et de leurs adversaires est d'une grande justice poëtique vu qu'il niait en pratique l'existence de l'individu au-delà du niveau matériel et animal. La forme latine d'Ibn Rouchde est Averroës.

La raison pourquoi on a brûlé Bruno, prénommé Philippo dans le monde et Giordano dans la religion (son appartenance à la culture latine nous ne permet pas d'ignorer son prénom) ne peut donc pas être que sa métaphysique et anthropologie aient été trop orientées dans un prodigieux élan vers la libre recherche de la vérité pour ne pas être en décalage avec un siècle tourmenté par des guerres incessants et aussi, au centre de l'interêt, celles où l'enjeu était la confession publique d'un peuple, par paroisse, par diocèse, par royaume. D'un côté sa philosophie ne l'était pas, et si sa personne l'était, on ne brûlait pas des gens pour leurs attitudes personnelles. De l'autre côté son siècle n'est pas si différent du notre ou de celui de St Thomas d'Aquin.

Pourquoi alors n'a-t-on pas brûlé des gens comme Siger de Brabant dans le XIII. S.? Pourquoi n'a-t-on pas brûlé Einstein dans le XX. S.? Pourquoi donc Giordano Bruno l'an 1600? Très simplement: Siger de Brabant n'était qu'un intello assez coupé du peuple et il n'était pas important pour la société en large, et pour purger la Sorbonne (on se demande s'il ne serait pas bientôt temps pour un autre nettoyage, hélas l'évêque actuel de Paris ne semble pas être au même pour la tâche) il suffisait qu'Étienne Tempier (successeur de St Denys et dont le successeur ou pseudosuccesseur s'appelle André Vingt-Trois) condamne son œuvre et pas mal de ses thèses ainsi comme pas mal de ceux d'un Boëthius de Dacia (un "Bo fra Danmark" on dirait dans son pays d'origine, sauf que la province dominicaine et la nation sorbonnaise de Dacia comprenait aussi la Suède et la Norvège, l'Icelande et les Faroës, même Finlande et - possession danoise - le Nord d'Estonie). La vraie guerre religieuse était contre d'un parti des hérétiques plus radicaux encore (albigeois croyant le monde matériel créé par le diable) mais surtout des hérétiques dont l'influence sociale était plus grande que les Averroïstes de la Sorbonne pouvaient menacer le monde catholique avec.* On n'avait pas le temps de s'occuper avec deux "fous-savants" (sauf qu'à leur époque plus rationnelle et moins psychiatrique que le notre on n'aurait pas parlé de folie dans ce contexte) et leurs quelques sectateurs. Et en nos temps, c'est que la guerre religieuse avec la philosophie brunienne a été une guerre avec le communisme. À l'époque de Giordano Bruno on avait juste vu que le dérapement de quelques intellos assez abstrus comme l'étaient Erasme de Rotérodame et Lorenzo Valla pouvait à travers le dérapement de quelques "prêtres engagés" comme l'étaient Luther, Zwingle et Œcolampade, un peu plus tard Bucer, Calvin, Knox**, Mélanchthon, Tausen, les frères Olaus et Laurentius Petri*** mettre un continent entier au feu. Et en plus, la théorie de Bruno était plus radicalement acatholique que celles-mêmes des réformateurs les plus brutaux.

En nos jours - prétendument plus humains que le XVI. S. - on ne brûle plus les hérétiques mais on détruit des vies, trop souvent quoique pas le plus souvent des vies chrétiennes, par la psychiatrie. Pas en traitant par exemple Christianisme bien Confessionnel ou encore un sens d'honneur comme des hérésies, comme des dérapages d'un intellecte qui s'abuse, mais comme des maladies. Plus ou moins cruel, discutable. Plus idiot, c'est sûr.

Hans-Georg Lundahl
Georges Pompidou/Beaubourg
Ste Amandine,
9-VII-2012

*Ah oui, en bon français c'est "dont l'influence sociale était plus grande que celle avec laquelle les Averroïstes de la Sorbonne pouvaient menacer le monde catholique", je vous donne juste en bon nationaliste de la Dacia médiévale - pas à confondre avec la Dacia antique déjà devenue Moldavia et Walachia à l'époque - un petit goût des tournures de chez nous. Et des problèmes du français correcte que j'ai à l'orale mais non en écrivant. Les prépositions chez nous ne sont pas strictement prépositions collés au substantif comme en latin et français, elles ont un peu de la liberté des adverbes, comme en Grec Ancien.
** Jean Knox, le réformateur d'Écosse, dont la Réforme rappelle le Mali actuelle et Ansar ad-Dine, pas le converti prêtre catholique beacoup plus paisible et beacoup plus tardif qu'était Ronald Knox.
***Olof et Lars Pettersson ou Persson on dirait chez nous, sauf qu'ils étaient clergé à une époque que le clergé latinisait ses noms et patronymes.

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