Saturday, February 22, 2014

Vive la scholastique!

Dans l'extrait suivant, les "qualités sécondes" d'un philosophe comme Locke (dont l'Essai sur l'entendement humain se trouvait sur l'Index des livres interdits jusqu'à la dernière édition) ne comprennent pas la quantité ni le strictement quantifiable, uniquement le non-quantifiable dans les accidents de la substance. Pour St Thomas d'Aquin la quantité elle-même est un accident, à même que les qualités sensibles (que ce soit pesanteur ou que ce soit couleur). La tentative de Locke a reduire les "qualités sécondes" à épiphénomène des "qualités primaires" n'est pas formulable en théorie scholastique comme réduction des accidents à la seule substance, à moins que la quantité elle-même serait substance. Ce qui n'est pas automatiquement le cas en théorie scholastique.

L’atomisme occupera une place importante dans les débats scientifiques du XVIIe siècle. Un des livres les plus percutants décrivant la philosophie atomiste sera Il Saggiatore (L’Essayeur), publié en italien par Galilée en 1623. Galilée y fait des remarques intéressantes sur l’atomisme et déclare que l’atome possède bien des qualités premières, qui lui sont propres, mais que ce qu’on appelle les « qualités secondes » ou les « accidents » dans la terminologie scolastique – qui déterminent le goût, le toucher, l’odeur – sont en fait le fruit de l’interaction des objets avec les organes du corps humain. Or, dans la théorie aristotélicienne de la matière, telle qu’elle est comprise à l’époque, la matière elle-même possède à la fois des qualités premières et des qualités secondes, comme un noyau (qualité première) recouvert d’une pelure* (qualités secondes). Pour les atomistes au contraire, la matière n’a que des qualités premières, donc un noyau et pas de pelure. C’est l’interaction directe du noyau avec notre main ou notre langue qui définit les qualités secondes que sont les sensations. Cette approche a des conséquences théologiques importantes. Les jésuites, entre autres, soulèveront la question, car ils ont compris très vite que l’atomisme est, comme nous le verrons plus loin, incompatible avec le dogme de la transsubstantiation.


idées, Histoire de science
L’atomisme contre la transsubstantiation
par Yves Gingras
http://www.cirst.uqam.ca/Portals/0/docs/pub/2010/Transsubstant%5B4%5D.pdf


Notons deux choses.

1) L'atomisme au sens stricte - la subjectivité des accidents sauf la quantité, et l'identité ou la quasiidentité de celle-ci avec la substance elle-même - n'a pas été prouvé.

Une application serait que le son n'est pas la qualité audible, mais les vibrations et que la qualité audible serait une phénomène subjectif là où les vibrations touchent l'oreille. D'où la question de Berkeley: si un arbre tombe dans une forêt sans oreilles humaines ou animales, est-ce qu'il y a un bruit ou non?

Le premier grand fondateur - après justement Galilée de Pise - de l'acoustique, à savoir un frère mendiant de la Congrégation Minime nommé Mersenne, lui, il refusait de trancher. Il disait que les deux théories sont possibles, soit que le son est la vibration d'où découle la sensation par causalité corporelle sur nos organes, soit que le son est une qualité inhérente à l'air quand elle sonne et qui accompagne les vibrations.

Aucune preuve a été donné contre la théorie qui sauvegarde les accidents au sens d'Aristote et de St Thomas d'Aquin. Et je suis bien conscient de l'expérience de Rutherford, et je ne la refuse pas dans les données par un quelconque gnosticisme, je le trouve juste mal interprêté par le scientifique lui-même.

2) Si c'est correct que Pape Urbain VIII ait pu réagir sur cet aspect atomiste de la philosophie de Galilée, alors on comprend très bien pourquoi il a considéré Galilée comme plus dangéreux encore que les Réformateurs. Pour moi ça suffisait que les preuves de l'existence de Dieu - notamment Prima Via - étaient faussées dans un sens vers Giordano Bruno et Mormonisme alternativement athéisme par la négation de la rotation diurne de l'Univers.

Je suis heureux d'avoir été, au début de ma démarche comme traditionnel après la démarche comme converti catholique (et pour défendre l'essentiel dedans) libre de l'erreur atomiste assez vite, et que je n'ai pas suivi Galilée de Pise dans cette démarche d'atomisme ou Locke dans la sienne.

Bien que la controverse entourant la théorie copernicienne soit plus connue, car elle a entraîné la condamnation de Galilée à la réclusion à vie par l’Église en 1633, cet épisode obscur autour de l’atomisme est en fait plus radical, car il concerne un véritable dogme de l’Église catholique. Que la Terre soit au centre de l’Univers était accepté par l’Église comme conforme au contenu de la Bible, mais cela n’était pas, du strict point de vue du droit canon, un dogme de l’Église catholique. En revanche, la transsubstantiation est bien un dogme, et s’en écarter (encore de nos jours) mène à l’excommunication.


Si Urbain VIII avait le genre d'arrière-pensées qu'on lui donne de nos jours, alors il a pu vouloir sauver son ami du bûcher. En l'entrainant dans une controverse de moindre importance. Mission réussie. Dans ce cas. Mais je lui attribue aussi, après la controverse de Bruno, une intention plus directement liée au bien du dogme catholique, à savoir de la sachabilité de l'existence et de l'unité de Dieu, un point qui devient saillant quand on considère I Q 2 A 3 dans la lumière de I Q 11 A 3.

Dieu a pu créer le Monde comme Il le voulait, et Il a pu le faire apparaître comme Il le voulait. Comme Chrétiens nous le savons. Tribuons-Lui alors la Bonté de ne pas avoir mis une limite épaisse entre chose et apparence, ni en faisant de jour et nuit des illusions optiques comme le voudrait l'Héliocentrisme, ni en faisant des accidents qui ne sont des qualités que de séconde réalité, comme le voudrait l'Atomisme.

Hans-Georg Lundahl
Bpi, Georges Pompidou
Cathedra St Petri Apostoli Antiochiae
22-II-2014

* Le point est plutôt si l'extension et l'interaction avec les autres substances sont le noyeau ou de la pelure. Pour St Thomas c'est précisément l'extension (quantitas dimensiva) qui est la base des autres accidents, précisément quand à l'interaction avec par exemple nos sens. Notons aussi que l'atomisme intégral esquissé ici n'est pas identique à tout ce qu'on peut appeler théorie atomique, ni biensûr - déjà dit - avec le résultat immédiatement observé de l'expérience de Rutherford.

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