Monday, November 17, 2008

Patois, argot ou langue littéraire - z'ont tous une structure!

D'abord, il ne faut pas confondre patois et langue régionale! Quelques examples vont clarifier les cathégories. L'Occitan est une langue régionale. Le bucco-rhodanien en est un patois (pas du français, donc!). Le mistralien est une langue littéraire occitane basée en bonne partie sur bucco-rhodanien. Langue d'oïl est une langue régionale, devenue nationale. Les parigots populaires en parlent un argot. Le français académique n'y est pas basé.


Les patois, les langues littéraires et les argots sont tous ce qu'on appelle dialectes. Un patois, un argot, une langue littéraire sont censés être des dialectes d'une même langue, s'il y a suffisamment d'intercompréhension. Autrement, de langues différentes. Le mistralien et l'occitan classique sont donc des dialectes littéraires de la même langue régionale occitane.

Le nantais et le parler des titis constituent un patois et un argot d'une même langue nationale. Le parler des ch'tis de Lille est à la fois un patois et un argot.


Pourquoi le mistralien est-il basé sur un patois (toujours à noter: pas du français, de la langue nationale, mais de l'occitan, une des langues régionales de la France!), mais pas le français sur un argot?


Le patois est le vernaculaire populaire rurale traditionnel. L'argot est le vernaculaire populaire urbain à la mode.


Le patois est le populaire en absence du littéraire. L'argot est le populaire en opposition au littéraire.

Le patois est populaire et correcte. L'argot est populaire et en opposition au correcte.

Le patois est populaire par défaut. L'argot est populaire par choix.

Le patois est l'absence d'une langue littéraire. L'argot en est le sous-produit, le jeu, la parodie.

On peut tuer un patois en a remplaçant par un langue littéraire, mais on ne peut pas tuer un argot de la même façon: elle présuppose précisemment ce que serait censé la remplacer.

Après ces préliminaires: pourquoi peut-on dire que le patois et l'argot ont une structure? Bien, puisque le phénomène de la langue humaine en a forcément! La structure grammaticale du français assure l'intercompréhension entre Lille et Marseille. Mais une ou des structures communes sont nécessaires pour assurer l'intercompréhension entre les deux bouts d'une même table.


Le français a des conjugaison, l'argot aussi. Prenons l'opposition entre "j'ai" et "ils ont". En argotique ça devient "j'é" (ou abbrégé: "G") et "z'ont". La prononciation est légèrement différente, mais l'opposition de base tient. En espagnol c'est encore "(yo) hé" est "(ellos) han" (pour l'auxiliaire) ou "(yo) tengo" et "(ellos) tienen" pour le synonyme de "posséder".

yo hé - ellos han
j'ai -- ils ont
j'é --- z'ont

Z'avez remarqué kek'chose? L'espagnol n'utilise pas des contractions. A la limite il omet totalement les pronoms. Le français contracte le pronom avec élision de la dernière voyelle (je+ai=j'ai), mais pas autrement (ils+ont=ils ont) - à la rigueur on peut considérer aussi la liaison comme une marque de cohésion, mais ça ne contracte pas, ça n'abbrège pas. L'argot contracte comme ça, mais aussi, avec la même liaison, en éliminiant toute une syllabe devenue superflue, puisque le mot se comprend par la liaison et par la conjugaison du verbe:

z'ont=ils ont; z'avez=vous avez;

prénons la conjugaison totale d'avoir en argotique:

j'ai - t'as - (il) a; z'avons - z'avez - z'ont;

ou phonétiquement:

jé - ta - (il) a; zavon - zavé - zon.

Toutes les formes sont différentes. La seule qui requiert un pronom séparé du verbe c'est la troisième du singulier. En singulier il y a deux désinences (une seule pour un verbe régulier) mais deux préfixes pronominels. En pluriel il y a un même préfixe - du nombre alors - mais trois désinences différentes. Si on fait abstraction de la différence entre préfixe et désinence, c'est la même structure qu'a l'espagnol littéraire:

hé - has - ha; habemos - habeis - han

pour ce qu'il ya de l'auxilière; ou, pour le synonyme de "posséder":

tengo - tienes - tiene; tenemos - teneis - tienen

Ce dernier mot s'utilise aussi - surprise, surprise - pour "tenir":

je tiens - tu tiens - il tient; nous tenons - vous tenez - ils tiennent;

là, l'argotique rejoint le français:

je tiens - tu tiens - (il) tient; nous tenons - vous tenez - (ils) tiennent;

ou phonétiquement:

je tien - tu tien - (il) tien; nou tenon - vou tené - (il) tienne.

C'est donc pas un trait régulier chez l'argot de faire abstraction des pronoms dans la conjugaison - ça ce fait seulement avec les verbes qui commencent par voyelle. Autrement, l'argot n'est que du français.

Il manque le subjonctif du present, et si on regarde bien la troisième du pluriel (aussi appelé sixième personne) on comprend bien pourquoi. Les verbes ou le subjonctif diffère phonétiquement de la troisième personne (du singulier), il coincide phonétiquement avec "la sixième personne".

Français:
jé - tu a - (il) a; nouzavon - vouzavé - (ilz)on
ke jè - ke tu è - kil è; ke nouzèïon - ke vouzèïé - kilzè
je tien - tu tien - (il) tien; nou tenon - vou tené - (il) tienne;

ke je tienne - ke tu tienne - kil tienne; ke nou tenion - ke vou tenié - kil tienne;

mais:
je travaï - tu travaï - (il) travaï; nou travaïon - vou travaïé - (il) travaï;
ke je travaï - ke tu travaï - kil travaï; ke nou travaïon - ke vou travaïé - kil travaï.

Argot:
jé - ta - (il) a; zavon - zavé - zon
ke jé - ke ta - kil a; ke nouzavon - ke vouzavé - kil zon
je tien - tu tien - (il) tien; nou tenon - vou tené - (il) tienne;

ke je tien - ke tu tien - kil tien; ke nou tenon - ke vou tené - kil tienne;

comme:
je travaï - tu travaï - (il) travaï; nou travaïon - vou travaïé - (il) travaï;
ke je travaï - ke tu travaï - kil travaï; ke nou travaïon - ke vou travaïé - kil travaï.

Dans un certain patois donné, ça peut encore se trouver quelque chose comme (suivant l'ortographe du français pour une fois, et limité à l'indicatif)*:

j'avons - tu avez - il a; nous avons - vous avez - ils ont;*
je tenons - tu tenez - il tient; nous tenons - vous tenez - ils tiennent;*
je travaillons - tu travaillez - il travaille; nous travaillons - vous travaillez - ils travaillent.*


Les personnes première du pluriel ("quatrième") et deuxième du pluriel ("cinquième") s'utilisent alors comme première du singulier et du pluriel ("1&4") et deuxième du singulier et du pluriel ("2&5") puisqu'ils diffèrent de la troisième personne au singulier. Cette conjugaison, je l'ai trouvé dans un livre des chansons de la Bretagne. Donc, il s'agit d'un patois, dont les parlers ont récemment (?) été bretonnophones plutôt que francophones. On trouve une autre structure qu'en français, mais on trouve également une structure.


On ne comprend que trop bien, pourquoi les industriels détestent les patois et les argots.

Ils administrent des grandes entreprises, dont grande partie ont une administration qui relie les quatre coins de l'Hexagone ou du monde. Dans cette administration, ils utilisent une langue standardisée et si chaqu'un ne parle que cette langue standardisée, tant mieux pour l'entreprise, tant moins il y aura besoin de traductions entre langue d'administration et langue des derniers ouvriers. Même observation pour la Légion Etrangère ou pour l'Armée, la Marine et l'Armée de l'air; ou pour gendarmerie et douanes. Moins les hommes à la base d'un organisme tellement vaste parlent par préférence une langue populaire différente de la langue d'administration, plus efficace sera l'organisme. Mais, par là aussi, ils sont contre toute langue régionale ou (pour les entreprises multinationelles comme pour l'ONU ou l'UE) nationale différente de leur langue administrative. Et contre toute élaboration littéraire de la langue au-dela de la simple terminologie et phraséologie imposée par les nécessités de l'entreprise. Vous ne me croyez pas? Alors, demain et la semaine suivante, vous allez au bureau remplacer le "Bonjour Monsieur le Directeur" par "Notre cher directeur, on vous souhaite une bonne journée de travail avec nous, ce mardi de Pâques de l'an de la grace deux mille huit!" "...ce mercredi de Pâques ..." et c (avec des dates après la semaine blanche).


Si vous persistez et encore gardez alors votre emploi, vous pouvez me le faire remarquer: sinon, c'est comme j'avais déjà prévu. Surtout à McDo.


En fait, les abrégés, les diminutifs, bien qu'argotique, les entreprises tolèrent, sans problème.

Par contre: l'art et la convivialité meurent ou se meurent lentement dans cette langue d'entreprise standardisée et moderne. Elles ont besoin de, non seulement l'argotique (et à des doses plus fortes que juste les contractions et les diminutifs), mais aussi le patois, mais aussi la langue littéraire archaïque ou archaïsante, les langues régionales.


Plus une langue réunit des hommes différents, moins elle et riche. A deux, on peut être deux polyglottes qui parlent les mêmes quatre ou cinq langues nationales ou régionales, plus les mêmes deux patois ... on peut se régaler. Une structure unique n'est pas nécessaire, puisque les deux en ont plusieurs en commun. Mais une entreprise qui recherche personnel des quatre directions du ciel ... o la la ... que leur langue sera appauvrie et standardisée!


Par là: c'était un crime, pas seulement contre les langues régionales, mais contre les patois aussi, quand la III République décida de ne tolérer en France que la langue Française.


Viser les patois était doublement néfaste pour les langues régionales (le Breton, le Basque, l'Occitan - à l'époque l'Alsacien subissait les mêmes indignités par le fait des Prusses, et pas des français): d'une partie puisque la langue régionale était à faux titre considéré comme un patois; d'autre part parce qu'après les réformes administratives déjà de la Renaissance et de Richélieu, pour ne pas parler du génocide sur les Vendéens et les Bretons (en abattant la chouannerie) les langues régionales ne survivaient guère qu'en tant que leurs patois - ce que donnait une semblence de justice au préjugé.


Mais, en fin du compte, c'était un crime contre les jeunes âmes rurales.
Tout-à-fait comme l'élimination des réligieux l'était contre les jeunes âmes chrétiennes.


Hans Lundahl
samedi le 9/22 mars 2008
(pour les Latins et les Estoniens
Samedi de Pâques cette année)
Méjanes, Aix en Provence

*En fait j'avais extrapolé ça de la vieille forme je=nous (cas sujet). Toute ma réconstructions était donc erronée. Je nous sommes trompés, moi et les lecteurs qui m'ont cru là-dessus. Je me suis corrigé aussi, là-dessus.